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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Qu’il me soit permis de m’arrêter un moment sur cette partie de mon sujet. Bien qu’elle ne se rattache pas directement à la révolution politique, je la trouve digne d’attention, parce qu’elle est intimement liée à la révolution sociale dont je me suis proposé de suivre pas à pas les développements.

C’est à Condorcet, et non pas à Jean-Jacques, comme on le croit généralement, qu’appartient l’initiative des réformes proposées dans l’éducation et la condition des femmes. Le premier, il posa nettement le principe de l’entière égalité des droits pour les deux sexes. Jean-Jacques, qui avait parlé aux femmes avec une éloquence et une tendresse d’âme incomparables, s’était cependant montré à leur égard moins libéral et moins sérieux que ne l’avait été Fénelon. Dans son plan d’éducation, qui n’est applicable ni à la femme du peuple, dont il ne s’occupe pas, lui sorti du peuple, ni même à la femme des classes moyennes, mais qui l’est seulement aux filles riches, il établit en principe que les femmes doivent être exercées à la contrainte ; que la dépendance est leur état naturel[1]. Il veut qu’on développe en elles, non la raison, qui leur rendrait plus pénible cette soumission aveugle aux volontés d’autrui, mais les talents d’agrément, à la condition toutefois que ce soit d’une manière frivole et subalterne[2]. Madame de Staël, plus rationaliste et plus ferme en ses jugements, écarte les préjugés de Jean-Jacques. Son âme forte et fière s’ouvre à tous les grands pressentiments des temps modernes. Elle déclare que, dans l’état actuel, les femmes ne sont ni dans l’ordre de la nature, ni dans l’ordre de la société[3]. Elle annonce comme

  1. Voir Émile, livre V.
  2. Il leur permet le dessin, par exemple, afin qu’elles puissent composer, dans l’occasion, un dessin de broderie. On retrouve dans tous ses écrits quelque chose du sentiment exprimé dans ses vers sur la femme :

    Objet séduisant et funeste
    Que j’adore et que je déteste.

  3. De la Littérature, œuvres complètes, T. I, p. 21.