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HISTOIRE

y disait le Prophète des jours sanglants, en parlant des hommes qui gouvernaient la République, et garder pour eux les fêtes et l’ivresse de l’or. »

Ces sortes de déclamations remuent fortement les esprits incultes. Pujol était devenu le harangueur favori des ateliers nationaux. En cette circonstance solennelle, où il s’agissait de porter devant le conseil du pouvoir exécutif la parole du peuple, on s’estima heureux d’avoir pour soi un orateur dont l’éloquence paraissait irrésistible.

Ce fut M. Marie qui reçut Pujol, que suivaient quatre délégués choisis par les ouvriers ; la masse attendait sur la place la réponse du conseil. Le rassemblement était en grande fermentation : « Nous ne partirons pas, répétaient les ouvriers ; mieux vaut être tué d’une balle à Paris que d’aller mourir en Sologne, de la fièvre ou de la faim, loin de nos familles. » On entendait des murmures contre Lamartine, contre Marie, contre Thiers, contre l’Assemblée, contre les riches ; le nom de Napoléon était fréquemment prononcé par ceux qui semblaient les meneurs, et le terrible mot : Il faut en finir, résumait énergiquement toutes ces colères. Pujol, introduit devant M. Marie, l’aborde d’un ton hautain.

« Citoyen, dit-il, avant la révolution de Février… — Pardon, interrompt M. Marie, mais il me semble que vous remontez un peu haut ; souvenez-vous que je n’ai pas de temps à perdre. — Votre temps n’est pas à vous, citoyen, il est au peuple, dont vous êtes le représentant…

— Citoyen Pujol, dit M. Marie, avec un geste de menace, nous vous connaissons depuis longtemps ; nous avons l’œil sur vous. Ce n’est pas la première fois que nous nous rencontrons ; vous avez parlementé avec moi, le 15 mai, après avoir, un des premiers, franchi la grille de l’Assemblée.

— Soit ! dit Pujol, mais sachez que du jour où je me suis voué à la défense des libertés du peuple, j’ai pris, vis-à-vis de moi-même, l’engagement de ne reculer devant aucune menace ; vous me menacez donc inutilement. »