Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/374

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
370
HISTOIRE

discipline d’une armée, contre l’horreur et l’exécration de la population entière.

Ce qui fit la puissance de l’insurrection de juin et son incroyable durée, bien qu’elle n’eût jamais ni plan, ni chef, c’est qu’elle avait à son origine, et qu’elle conserva jusqu’à la fin, dans l’esprit d’un grand nombre, le caractère d’une juste protestation contre la violation d’un droit ; c’est qu’il y avait ainsi en elle, malgré les éléments impurs qui la corrompirent, malgré les violences qu’elle commit, un principe moral, un principe égaré, mais vrai, d’enthousiasme, de dévouement, d’héroïsme : un mont sacré intérieur ou le peuple sentait le droit.

L’insurgé de juin, ne l’oublions pas, c’est le combattant de février, le prolétaire triomphant, à qui un gouvernement, proclamé par lui-même, assure solennellement, à la face du pays qui ne proteste pas, le fruit modeste de sa conquête : le travail pour récompense de sa misère, le travail comme prix du combat.

Et ce prolétaire, à qui l’on confie en tremblant les embarras de la République, ajourne l’exécution de la promesse ; il se montre désintéressé, patient ; il donne du temps à l’État qui s’est reconnu son débiteur ; il offre trois mois de misère à la patrie.

Trois mois sont écoulés.

Le prolétaire confiant vient réclamer son droit au travail ; mais qu’entend-il alors ? que rencontre-t-il ? quelle réponse et quel accueil ? Les mêmes hommes qui ont débattu avec lui, d’égal à égal, les conditions d’un pacte qu’ils ont ratifié, lui enjoignent, par un commandement subit et inexpliqué, de quitter sa famille, sa demeure, la ville où il est né, le séjour qui a vu ses triomphes, pour s’enrôler dans une armée qui n’ira pas, il le sait bien, au secours des peuples dont il souhaite la délivrance ; et, s’il refuse de devenir soldat, ces hommes, portés par lui au pouvoir suprême, le condamnent à gagner loin de leurs yeux, par des travaux insalubres qui ne sont pas de son choix, auxquels il n’est pas