Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/384

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
380
HISTOIRE

En donnant ainsi ses ordres à des généraux plus anciens que lui, et qui avaient été ses supérieurs dans la hiérarchie militaire, le général Cavaignac était très-ému. Lorsqu’il vit le général Lamoricière, avec lequel il avait eu, en Afrique, de vifs dissentiments, venir, avec une simplicité parfaite, prendre de ses mains un commandement périlleux, pour défendre une cause qui n’était pas la sienne, il eut peine à retenir ses larmes. Ses inquiétudes, d’ailleurs, étaient grandes. Il ne se formait aucune idée des forces de l’insurrection qu’il allait combattre. Quels étaient ses éléments, ses moyens d’attaque, ses chefs, son plan, son mot d’ordre ? Avait-elle des armes, des munitions, des connivences secrètes ? Que voulait-elle ? Pour qui prenait-elle les armes ? Aurait-on pour adversaires des communistes, des impérialistes ou des royalistes ? Il ne le savait pas. Soit par habitude, soit par goût, soit plutôt par le besoin impérieux d’un tempérament mélancolique et d’un esprit concentré, le général Cavaignac a fait autour de lui une solitude où n’ont retenti que très-faiblement les idées qui meuvent les hommes politiques, les sentiments et les instincts qui passionnent les masses.

Quant aux forces dont il pouvait disposer pour la répression, il s’en était remis au colonel Charras, qui n’avait pas jugé possible, dans l’état de fermentation où étaient encore les esprits, de tenir dans Paris, comme l’aurait voulu la commission exécutive, une garnison de vingt-cinq mille hommes, dont une partie aurait été obligée de bivaquer[1],

  1. Quelques jours après la fête de la Fraternité (23 avril) le gouvernement provisoire avait cru pouvoir faire rentrer dans Paris le 29e régiment de ligne, commandé par le colonel Dulac. Arrivé à la barrière, le colonel se vit entouré d’une multitude très-animée et qui faisait mine de s’opposer à son passage. Avec un grand sang-froid : « Est-ce que le gouvernement provisoire est renversé ? dit-il aux ouvriers qui se trouvaient le plus près de lui. — Non, répond la foule. — Eh bien ! alors, voici son ordre, aidez-moi à l’exécuter. » — Et ces mêmes hommes, au cri de : « Vive le gouvernement provisoire ! » entourent le colonel, le précèdent, lui font faire place, et ne le quittent qu’à