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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

guerre, » a dit plus tard le général Cavaignac à des personnes qui ne rougissaient pas de lui demander compte, non-seulement de tous ses actes, mais encore de tous ses sentiments dans cette terrible journée, « j’étais bien libre d’aller me faire tuer si bon me semblait. »

Un orage qui obscurcissait tout le ciel, des éclairs suivis de coups de tonnerre prolongés, une pluie continue semblaient un fâcheux présage et abattaient encore les esprits attristés. On arrive ainsi au quartier général de Lamoricière. Il s’est établi dans un café situé à l’angle du boulevard et de la rue Saint-Denis. Là, il rend compte au général Cavaignac de ses opérations ; il lui dit la froideur, l’hésitation de la troupe de ligne, les pertes nombreuses et les désertions qui diminuent de plus d’un tiers l’effectif de la garde mobile ; l’ardeur incroyable des insurgés. À plusieurs reprises, il a voulu essayer de les haranguer ; toujours ils lui ont répondu par des décharges à bout portant. Il a interrogé les prisonniers sur le but de l’insurrection ; on n’en peut tirer aucune réponse précise. Les uns disent qu’ils veulent la République démocratique et sociale ; d’autres, qu’ils veulent Louis Bonaparte. À chaque barricade, on entend, dans le silence que gardent les combattants, la voix d’un chef qui paraît commander militairement ; mais on ne sait si ces chefs eux-mêmes obéissent à un ordre supérieur. Pas un nom, pas un cri, pas un emblème qui révèle le caractère ou le but de l’insurrection. On n’a vu jusqu’ici que des drapeaux tricolores. En inquiétant l’imagination du soldat, le mystère de cette guerre des rues en double la force.

Pendant ce court entretien, M. de Lamartine a continué sa route vers le faubourg du Temple, sur le boulevard des Italiens. La foule considérable qui s’y trouvait rassemblée, malgré l’orage, alors dans toute sa violence, accueille le passage du poëte par de nombreux cris de : À bas Lamartine ! Mais plus loin, il est reçu de toute autre façon. Reconnu par la foule, on vient à lui, on l’entoure. Ces insurgés, que