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HISTOIRE

République et d’une énergie de volonté peu commune, ne s’était pas décidée le premier jour à prendre les armes. Depuis le 24 février, cependant, le travail ayant presque complètement manqué, les ouvriers étaient tombés dans une misère effroyable. On distribuait à la mairie jusqu’à 60,000 bons de pain par jour ; mais, avant de se prononcer pour l’insurrection, qui leur était annoncée par des faiseurs de barricades étrangers au quartier, les ouvriers avaient voulu en connaître avec certitude la cause et le but.

L’autorité et la garde nationale, qui ne paraissaient pas mieux instruites que les ouvriers, gardaient, de leur côté, la même attitude d’expectative ; de sorte que, pendant toute la nuit du 23 au 24, personne, dans le faubourg Saint-Antoine, ne donna ni ne reçut aucun ordre.

Le 24, des meneurs très-actifs se rendirent au milieu des ouvriers : le nommé Lacollonge, dont j’ai parlé plus haut, un ouvrier mécanicien nommé Racari, Pellieux et quelques autres clubistes exaltés vinrent dire dans le faubourg que les royalistes attaquaient la République, qu’ils étaient les maîtres déjà dans l’Assemblée nationale et dans la commission exécutive, qu’ils voulaient exterminer le prolétariat, ou le réduire à l’esclavage par la misère. En même temps, comme le canon ne cessait de gronder dans la direction de l’Hôtel de Ville, ils répandirent la nouvelle que Caussidière s’y était établi et qu’il s’y défendait contre les aristocrates[1].

Ces discours, et d’autres analogues, enflamment les esprits. Quand les gardes nationaux veulent enfin essayer de se réunir, ils sont maltraités, dispersés par les ouvriers en armes. Ceux-ci, enhardis par ce premier succès, courent à la caserne Reuilly, qu’occupe un capitaine du 48e de ligne avec cent-vingt soldats ; ils l’assiègent, ils y mettent le feu ; plusieurs fois la caserne est prise et reprise, mais les in-

  1. Sans favoriser aucunement l’insurrection, Caussidière resta constamment en rapport avec les faubourgs par ses montagnards et par les membres de la société des Droits de l’homme.