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HISTOIRE

L’exaltation et le désespoir des insurgés aggravent singulièrement leur état. Beaucoup d’entre eux, dans la crainte d’être fusillés, sont restés cachés longtemps dans des réduits d’où ils ne sortent que vaincus par d’intolérables souffrances et quand la gangrène ronge déjà leurs os. Privés des soins de leurs familles qui n’osent se présenter dans les hôpitaux, en butte aux mauvais traitements des gens de service qui, malgré les ordres sévères des médecins, n’ont de soins et d’égards que pour les blessés de la garde nationale, forcés de répondre aux interrogatoires du juge d’instruction[1], et certains que, s’ils guérissent, ce sera pour passer devant les conseils de guerre, leur condition est la plus misérable du monde. Plusieurs arrachent l’appareil de leurs blessures ; d’autres essayent de se laisser mourir de faim, préférant la mort à de si douloureuses incertitudes.

On n’a pas connu avec exactitude le chiffre des morts[2]. Encore aujourd’hui, on n’est parfaitement certain ni du nombre des détenus, ni du nombre des insurgés. D’après la statistique des journaux de médecine, il y aurait eu 2,529 blessés soignés dans les hôpitaux de Paris ; le nombre de ceux qui ont été soignés à domicile a dû être beaucoup plus considérable, mais il est impossible de le constater. Selon le rapport du préfet de police, M. Ducoux, en date du 8 octobre, le nombre total des morts, civils et militaires, à la suite de l’insurrection, aurait été de 1,460 ; les deux tiers appartenaient à l’armée et à la garde nationale[3] Le général Cavaignac a dit, à la tribune, dans la

  1. Il faut dire à l’honneur des médecins de la faculté de Paris qu’ils s’opposèrent avec beaucoup de fermeté à ces interrogatoires. « Il n’y a ici pour moi que des malades et non des prévenus, » répond N. Michon, chirurgien de la Pitié, au juge d’instruction qui voulait savoir de lui le chiffre des insurgés reçus dans ses salles. « Je ne connais ici que des blessés, » dit le docteur Roux, à qui l’on demande combien il a dans son service de gardes nationaux et combien d’insurgés.
  2. La presse anglaise a prétendu qu’il y avait eu cinquante mille morts.
  3. La seule garde républicaine a eu 92 morts, dont deux officiers su-