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HISTOIRE

nuyer de garder le silence et n’attendait qu’une occasion pour reparaître à la tribune avec éclat. Un homme, dont la renommée excentrique enflait de jour en jour la présomption, M. Proudhon, ne craignit pas d’entrer en lutte avec M. Thiers et lui fournit bientôt cette occasion désirée.

J’ai dit brièvement, dans la seconde partie de cet ouvrage, quels avaient été les premiers travaux de M. Proudhon et par quelles qualités singulières ils avaient attiré l’attention des esprits curieux de nouveautés.

Le journal qu’il publia après la révolution de Février fit connaître son nom au peuple et le posa en chef de parti. Après avoir, par sa vigoureuse dialectique, contribué plus que personne à ruiner dans l’opinion les systèmes communistes ; quand, par suite des événements, les chefs d’école socialistes eurent disparu de la scène publique, M. Proudhon, dont l’avantage consistait à n’avoir pas de système et à nier plus hardiment que personne ne l’avait jamais fait les principes constitutifs d’une société que le prolétariat accusait de tous ses maux, demeura le seul représentant de l’instinct populaire et vit se diriger contre lui tous les ressentiments de la bourgeoisie.

Elle ne voulut voir dans son élection à l’Assemblée constituante qu’un défi jeté par les anarchistes à la moralité publique[1]. La personne de M. Proudhon se prêtant, d’ailleurs, par je ne sais quel flegme puissant et ironique d’attitude, de physionomie et d’accent, au rôle extraordinaire que lui créait la peur ; son orgueil, qui s’en trouvait flatté, l’acceptant avec complaisance, on en vint à le regarder comme un être à part, exempt des sentiments qui animent la généralité des hommes ; comme une perversité incarnée

  1. Depuis l’insurrection de juin, la répulsion qu’inspirait M. Proudhon était devenue un véritable sentiment d’horreur. En entrant, le 25, dans le faubourg du Temple, les troupes y avaient rencontré M. Proudhon, qui, plus tard, sommé par la commission d’enquête d’expliquer sa présence, répondit simplement : « qu’il était allé contempler la sublime horreur de la canonnade. »