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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

qu’il avait calomnié la révolution de Février en la faisant complice de ses propres doctrines.

Ainsi se termina cet étrange débat, qui fut jugé par l’opinion publique comme une dernière et définitive victoire du parti de l’ordre sur la révolution.

M. Thiers, si prudent et si modéré jusque-là, fut ébloui de son facile triomphe. Applaudi comme le sauveur de la propriété, ouvertement reconnu désormais par toutes les fractions du parti de l’ordre comme leur chef, il cessa de contenir leurs espérances ; il lâcha la bride à des passions qu’il ne partageait pas, mais qui servaient son ambition. Cette ambition n’allait à rien moins déjà qu’à se rendre l’arbitre des destinées du pays, en s’emparant d’une force morale assez considérable pour pouvoir, selon que tournerait l’événement, relever la dynastie déchue ou garder pour soi-même le gouvernement de la République.

Dans ces vues, il paraissait utile à M. Thiers d’entretenir les alarmes de la bourgeoisie, d’inquiéter surtout la propriété, de lui faire entendre qu’elle n’était pas suffisamment protégée par le gouvernement et qu’elle devait chercher ailleurs son point d’appui. C’est alors qu’il imagina de faire ouvrir une souscription dont le produit, qui dépassa bientôt la somme de 200,000 francs, servirait à la publication à bon marché et à la propagande de livres destinés à combattre les prétendus ennemis de la propriété, de la religion, de la famille, que l’on comprenait tous sous la dénomination générale et vague de républicains rouges.

La réunion de la rue de Poitiers seconda avec zèle l’initiative de M. Thiers, et l’on vit rapidement paraître une multitude de brochures et de pamphlets, écrits sans bonne foi, sans talent, et dont aucun en particulier n’avait de valeur, mais qui, par leur nombre et la publicité qu’on leur donna, produisirent sur les imaginations un effet général et continu de terreur dont les conséquences furent incalculables[1]. Cette propagande détourna l’attention du pays de

  1. Cette propagande a été très-bien appréciée plus tard par un