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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

prenant que les républicains prissent ombrage d’une concession de telle nature qu’elle amenait aux affaires un homme qui, à leurs yeux, était la personnification de la contre-révolution[1].

Mais en même temps le ministère Dufaure, composé d’hommes intègres, fermement résolus à servir la République, ne répondait aucunement aux prétentions de la droite et ne devait servir qu’à isoler davantage le général Cavaignac, à le faire dévier plus rapidement sur cette pente des concessions tardives, incomplètes, par lesquelles se déconsidèrent et se perdent tous les gouvernements qu’abandonne l’esprit politique.

La réunion de la rue de Poitiers voyait sans aucun plaisir l’entrée de M. Dufaure aux affaires. M. Thiers ne l’aimait pas et n’était nullement disposé à le soutenir. Il existait entre ces deux hommes d’insurmontables antipathies de caractères et d’anciens ressentiments politiques. La droite savait, d’ailleurs, que M. Dufaure n’entrait aux affaires ni traîtreusement, ni inconsidérément, mais avec la conviction raisonnée que la République était désormais le gouvernement le plus conforme à l’état de nos mœurs, et que la présidence du général Cavaignac serait le moyen le plus sûr et le plus honorable d’établir d’une manière durable les institutions républicaines. On ne lui pardonnait pas non plus d’accepter le concours des républicains de la veille.

Le parti de M. Thiers demeura donc très-indifférent au changement de ministère. Affectant, ainsi que son chef, une attitude dédaigneuse entre les deux concurrents à la présidence[2], il n’exerça plus désormais d’action poli-

  1. Ce furent les expressions par lesquelles M. Goudchaux motiva sa démission.
  2. L’indécision de M. Thiers fut extrême et dura jusqu’aux approches de l’élection. Tantôt il lançait des épigrammes contre le prince Louis Bonaparte et disait que son élection serait une honte pour la France ; tantôt il promettait aux partisans du prince sa neutralité bienveillante. Mais dans les derniers jours il se décida pour le candidat impérial et s’efforça de faire voter ses amis politiques en sa faveur.