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HISTOIRE

que nous venons de voir reprocher vivement à M. Ledru-Rollin son langage impolitique, ne se laissa point aller à la tentation d’en tirer avantage. Il ne voulait pas plus de la dictature bourgeoise en sa personne qu’il n’entendait souffrir de dictature populaire en la personne de MM. Ledru-Rollin ou Louis Blanc. Son ambition lui montrait dans une perspective rapprochée un but plus haut. Il voulait être l’élu du pays tout entier ; et cette ambition, à l’heure où il la conçut, n’avait rien de chimérique, car de tous les points de la France on entendait monter vers lui un murmure approbateur, un assentiment, inquiet encore, mais dont l’accent se raffermissait chaque jour, et qui, en lui promettant l’empire de l’opinion, lui commandait la patience.

L’attitude prise en cette circonstance par M. de Lamartine fait honneur à sa loyauté. Il repoussa la prétention des compagnies privilégiées à rester en dehors de la règle commune ; il évita de parler en son nom personnel, mais, en même temps, il promit que le gouvernement tout entier s’expliquerait sur la conduite qu’il entendait tenir dans les élections, et rétablirait ce qui, dans les termes et non dans l’intention des circulaires, avait pu blesser la fierté publique. Ces assurances obligeaient M. de Lamartine à se retirer si le gouvernement refusait de les ratifier ; mais il connaissait trop bien la faiblesse du ministre de l’intérieur et son isolement dans le conseil, où MM. Louis Blanc et Albert ne le soutenaient qu’à demi, pour concevoir à cet égard des inquiétudes sérieuses. Il s’occupa donc sans retard à rédiger un projet de proclamation, qui contenait le désaveu des circulaires, et l’apporta le lendemain au conseil réuni à l’Hôtel de Ville.

Depuis le matin, Paris était agité ; mille bruits contradictoires jetaient le trouble dans les esprits. On savait qu’il se tramait quelque chose contre le gouvernement provisoire, mais, ainsi qu’il arrive le plus souvent dans nos discordes civiles, l’émotion, produite à la fois sur tous les