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HISTOIRE

l’ordre, et que les premiers cris de mort fussent poussés par les hommes de la légalité et de la paix ?

Nous allons assister à un spectacle bien différent et voir comment le peuple, si follement provoqué, répondit une seconde fois encore par la modération et la sagesse.

J’ai dit que M. Louis Blanc méditait, depuis quelque temps déjà, une grande manifestation populaire, non dans le but de renverser la majorité du gouvernement, les complots et les conspirations répugnaient à son esprit orgueilleux[1], mais pour exercer sur elle une intimidation morale. Dans ce dessein, il était nécessaire que cette manifestation restât calme et ne devînt le prétexte d’aucun désordre. Aussi en régla-t-il avec un soin minutieux l’ordonnance et la discipline. Pas d’armes, pas de cris, pas de violence, mais une longue, silencieuse et solennelle procession de toutes les corporations à travers Paris ; la demande, respectueusement apportée au conseil par une députation, de l’ajournement des élections et de l’éloignement des troupes : tel était le programme donné par M. Louis Blanc aux délégués du Luxembourg, d’accord en cela avec M. Caussidière, qui favorisait le parti de M. Ledru-Rollin, mais ne jugeait pas le moment venu d’agir ouvertement à main armée.

Les clubs qui, de leur côté, sans projets bien arrêtés, entretenaient dans le peuple l’agitation et la défiance, comprirent, en voyant l’émeute avortée de la garde nationale, que l’instant était favorable pour faire la loi au gouvernement, et qu’il fallait saisir l’occasion. En conséquence, une réunion générale des chefs de clubs eut lieu dans la soirée du 16, et l’on y tomba d’accord sur la nécessité de convoquer le peuple pour le lendemain. Toute la nuit se passa à écrire, à imprimer des lettres, des proclamations, des affiches. Une

  1. M. de Lamartine lui rend ce témoignage : « Il souffla les erreurs, écrit-il dans son Histoire de la Révolution de 1848 (v. II, p. 207), jamais les séditions. » En effet, M. Louis Blanc refusa, quelques jours avant le 17 mars, de se rencontrer en maison tierce avec M. Blanqui. « Un membre du gouvernement, dit-il à la personne qui l’engageait à cette entrevue, ne doit pas voir un conspirateur. »