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Leurs cerveaux de nectar & de douce ambroisie,
Sur la fin d’un banquet, Pore conseil des Dieux,
Yvre de ses douceurs se desrobe en cachette,
En fuiant au jardin de Jupiter se jette
Sur les fleurs, recreant d’un doux sommeil ses yeux.
Livrant, di je, au sommeil son cors & l’ambroisie
Qui des liqueurs du ciel troubloit sa fantasie.
Sur ce point arriva la pauvrette Penie,
Qui durant le banquet prés de l’huis mandioit
Des miettes du Ciel, & pour neant avoit
Pour un chiche secours tant mandié sa vie.
Elle voit sur les fleurs le beau Pore endormy,
Elle change sa faim en desir de sa race,
Elle approche, se couche & le serre & l’embrasse
Tant qu’il l’eut pour amie & elle pour ami.
De là naquit l’Amour, & la nature humaine
Du conseil des grands Dieux conceut l’autre Androgeine
Aussitost qu’à nos yeux un raion de beauté
Nous a fait savourer le miel de l’agréable,
L’esprit conçoit la joie, emeu du delectable
Dont il recoit le goust par nostre œil presenté.
Au naistre de Venus, au naistre des beautez,
Nos esprits qui n’ont moins que l’essence divine
S’ejouissent du beau & l’ame l’imagine ;
Les pencers sont festins pour les divinitez,
Nostre pauvre nature est la mesme Penie
Qui n’estant du festin y va quester sa vie.
Elle ne peut gouster ny les os, ny les restes
Du nectar de l’esprit : son estomac n’a pas
De feu pour digerer ce precieux repas,
Mais au lieu de joïr des viandes celestes,
L’esprit fait tout divin est emeu à pitié,
Se couple avec le cors, & en ce mariage
Donne prevoir, juger, & souvenir pour gage