Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/73

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Sinon lors qu’il faudra que consommé je meure,
Satisfait du plus beau de mon triste desir.
Le lieu de mon repos est une chambre peinte
De mil os blanchissans & de testes de mortz
Où ma joie est plus tost de son object esteinte :
Un oubly gratieux ne la poulce dehors.
Sortent de là tous ceulx qui ont encore envie
De semer & chercher quelque contentement :
Viennent ceux qui vouldront me ressembler de vie,
Pourveu que l’amour soit cause de leur torment.
Je mire en adorant dans une anathomye
Le portrait de Diane entre les os, afin
Que voiant sa beauté ma fortune ennemie
L’environne partout de ma cruelle fin :
Dans le cors de la mort j’ay enfermé ma vie
Et ma beauté paroist horrible dans les os.
Voila commant ma joye est de regret suivie,
Commant de mon travail la mort seulle a repos.
Je veulx punir les yeux qui premier ont congneüe
Celle qui confina mes regretz en ces lieux :
Jamais vostre beauté n’approchera ma veuë
Que ces champs ennemis du plaisir de mes yeux.
Jamais le pied qui fit les premières aproches
Dans le piege d’amour ne marchera aussi
De carreau plus poly que ces hideuses roches
Où à mon gré trop tost il s’est reendurcy.
Tu n’auras plus de gans, o malheureuse dextre
Qui promis mon départ & le tins constemment
Ung espieu raboteux te fera mescongnoistre
Si ma dame vouloit faire un autre serment.
L’estommac aveuglé en qui furent trahies
Mes vaines, & par qui j’engageay ma raison,
Ira neü & ouvert aux chaleurs & aux pluies,
Ne changeant de l'abit comme de la saison :