Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/78

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Comme un vaneur baissant la teste contre bas
Suit le sangler blessé aisément à la trasse
Et le poursuit à l’œil jusqu’au lieu du trespas.
Diane, qui vouldra me poursuivre en mourant,
Qu’on escoute les rochs resonner mes querelles,
Qu’on suive pour mes pas de larmes un torrent,
Tant qu’on trouve seché de mes peines cruelles
Un coffre, ton portrait, & rien au demeurant.
Les chams sont abreuvés aprés moy de douleurs,
Le soucy, l’encholie & les tristes pensées
Renaissent de mon sang & vivent de mes pleurs,
Et des Cieux les rigeurs contre moy courroucées
Font servir mes soupirs à esventer ses fleurs.
Un bandeau de fureur espais presse mes yeux
Qui ne dissernent plus le dangier ny la voie,
Mais ilz vont effraiant de leur regard les lieux
Où se trame ma mort, & ma presence effroye
Ce qu’embrassent la terre & la voulte des Cieux.
Les piteuses foretz pleurent de mes ennuys,
Les vignes, des ormeaux les cheres espousees,
Gémissent avecq’ moy & font pleurer leurs fruitz
Milles larmes, au lieu des tendresses rosees
Qui naissoient de l’aurore à la fuitte des nuitz.
Les grands arbres hautains au milieu des foretz
Oyans les arbrisseaux qui mes malheurs dégoutent,
Mettent chef contre chef, & branches prés aprés,
Murmurent par entre eux & mes peines s’acoutent,
Et parmy eux fremit le son de mes regretz.
Les rochers endurcis où jamais n’avoient beu
Les troupeaux alterés, avortez de mes pennes
Sont fonduz en ruisseaux aussitost qu’ilz m’ont veu.
Les plus sterilles mons en ont ouvert leurs vaines
Et ont les durs rochers montré leur sang esmeu.
Les chesnes endurcis ont hors de leur saison