Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/79

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Sué, me ressentant aprocher, de cholere,
Et de couleur de miel pleurerent à foison,
Mais cest humeur estoit pareil à ma misère,
Essence de mon mal aigre plus que poison.
Les taureaux-indomptez mugirent à ma voix
Et les serpens esmeuz de leurs grottes sifflèrent,
Leurs tortillons grouillans là sentirent les loiz
De l’amour ; les lions, tigres & ours pousserent,
Meuz de pitié de moy, leurs cris dedans les bois.
Alors des cleres eaux l’estoumac herissé
Sentit jusques au fons l’horreur de ma presence,
Esloignant contre bas flot contre flot pressé ;
Je fuis contre la source & veulx par mon absence
De moy mesme fuyr, de moy mesme laissé.
Mon feu mesme embrassa le sein moite des eaux,
Les poissons en sautoient, les Nymphes argentines
Tiraient du fons de l’eau des violans flambeaux,
Et enflant d’un doux chant contre l’air leurs poitrines,
Par pitié gasouilloient le discours de mes maux.
O Saine ! di’je alors, mais je n’y puis aller,
Tu vas, & si pourtant je ne t’en porte envie,
Pousser tes flotz sacrés, abbreuver & mouiller
Les mains, la bouche & l’œil de ma belle ennemie,
Et jusques à son cœur tes ondes dévaler.
Prens pitié d’un mourant & pour le secourir
Porte de mes ardeurs en les ondes cachees,
Fais ses feux avecq’ toy subtilement courir,
De son cueur alumer toutes les pars touchees,
Luy donnant à gouter ce qui me fait mourir.
Mais quoy ! desja les Cieux s’acordent à pleurer,
Le soleil s’obscurcist, une amere rosee
Vient de gouttes de fiel la terre ennamourer.
D’un crespe noir la Loire en gemist desguisee,
Et tout pour mon amour veult ma mort honorer.