Page:Agrippa d'Aubigné - Œuvres complètes tome troisième, 1874.pdf/83

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Je briseray, la nuit, les rideaux de sa couche,
Assiegeant des trois Seurs infernales son lit,
Portant le feu, la plainte & le sang en ma bouche :
Le resveil ordinaire est l’effroy de la nuit,
Mon cry contre le Ciel frapera la vengeance
Du meurtre ensanglanté fait par son inconstance.
Non, l'air n’a pas perdu ces souspirs miserables,
Mocqués, meurtris, payez par des traistres souris :
Ces souspirs renaistront, viendront espouvantables
T’effrayer à misnuict de leurs funestes cris ;
L’air a serré mes pleurs en noirs & gros nuages
Pour crever à misnuict de gresles & d’orages.
Lors son taint perissant & ses beautez perdues
Seront l’horreur de ceux qui transis l’adoroient,
Ses yeux deshonorés des prunelles fondues
Seront tels que les miens, alors qu’ilz se mouraient,
Et de ses blanches mains sa poitrine offencee
Souffrira les assaulx de sa juste pencee.
Aux plus subtils demons des régions hautaynes
Je presterai mon cors pour leur faire vestir,
Pasle, deffiguré, vray miroir de mes peines :
En songe, en visions ilz lui feront sentir
Proche son ennemy, dont la face meurtrie
Demande sang pour sang, & vie pour sa vie.
Ha ! miserable amant, miserable maitresse,
L’un souffre innocemment, l’autre aveuglant son mal,
Bastit en se jouant de tous deux la tristesse,
Le couteau, le tumbeau & le sort inegal :
L’une laisse volage à ses fureurs la bride,
L’autre meurant à tort pleure son homicide.
O Dieux ! n’arrachez point la pitié de mon ame,
D’une oublieuse mort n’ostez mon amitié :
Que je brusle plus tost à jamais en ma flamme,
Sans espoir de secours, sans aide, sans pitié