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De ma triste despoüille & d’une ame ravie
Mon esprit triumphant couronne ta beauté
Vermeille de mon sang, ma mort te donne vie,
Et les plus doux zephirs
Qui charment ton Æsté
Sont mes tiedes souspirs.
Ainsi quand Daphné fut en laurier convertie,
Le soleil l’eschauffa de rayons & d’amours
Et arrousa ses pieds de larmes & de pluye.
O miserables pleurs
Qui croissez tous les jours
L’amour & les douleurs !


XI.

A l’escler viollant de ta face divine,
N’estant qu’homme mortel, ta celeste beaulté
Me fist goutter la mort, la mort & la ruyne
Pour de nouveau venir à l’immortalité.
Ton feu divin brusla mon essence mortelle,
Ton celleste m’esprit & me ravit aux Cieulx,
Ton ame estoit divine & la mienne fut telle :
Deesse, tu me mis au ranc des aultres Dieux.
Ma bouche osa toucher la bouche cramoysie
Pour cœiller sans la mort l’immortelle beaulté,
J’ay vescu de nectar, j’ay sucsé l’ambroysie,
Savourant le plus doux de la divinité.
Aux yeux des Dieux jalloux, remplis de frenaisie,
J’ay des autels fumants conu les aultres Dieux,
Et pour moy, Dieu segret, rougit la Jalousye
Quant un astre incognu ha déguizé les Cieux.
Mesme un Dieu contrefait, refuzé de la bouche,
Venge à coups de marteaux son impuissant courroux,