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L’ÉCLAIREUR.

Don Stefano hésita.

— Eh ! fit en riant don Miguel, je vais faire servir le déjeuner ; peut-être vous déliera-t-il la langue.

— Voilà justement la question embarrassante, s’écria vivement le Mexicain avec un accent chagrin, c’est que, malgré tout mon désir de vous être agréable, je ne puis accepter votre gracieuse invitation.

Le jeune homme fronça le sourcil.

— Ah ! ah ! fit-il en fixant un regard soupçonneux sur son interlocuteur, pourquoi donc ?

— Voilà justement ce que je n’ose vous avouer.

— Osez, osez, caballero ; ne vous ai-je pas averti que vous aviez le droit de tout dire ?

— Mon Dieu, c’est vous qui m’y forcez, dit-il d’une voix de plus en plus triste, figurez-vous que j’ai fait vœu à Nuestra Señora de los Ángeles de ne jamais, tout le temps que je serai en route pour ce voyage maudit, prendre de nourriture avant le soleil couché.

— Ah ! fit don Miguel d’un accent peu convaincu ; mais hier au soir, lorsque je vous ai offert à souper, le soleil était couché depuis longtemps déjà il me semble.

— Attendez donc, je n’ai pas fini.

— J’écoute.

— Et alors même, reprit le Mexicain, de ne manger qu’une des tortillas de maïs que je porte avec moi dans mes alforjas, et que j’ai fait bénir par un prêtre avant mon départ de Santa-Fé ; vous voyez, tout cela doit vous paraître bien ridicule, mais nous sommes compatriote tous deux, nous avons du sang espagnol dans les veines, et au lieu de rire de ma sotte superstition vous me plaindrez.

Caspita ! d’autant plus que vous vous êtes astreint à une rude pénitence. Je ne chercherai pas à vous faire renoncer à votre superstition, car moi aussi j’ai la mienne ;