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L’ÉCLAIREUR.

Une demi heure s’écoula, sans que le bruit qui l’avait éveillé se renouvelât, il avait beau écouter, aucun son ne venait troubler le silence de la nuit.

Cependant Bon-Affût était certain de ne pas s’être trompé. Dans le désert, tous les bruits ont une cause, une raison d’être ; les chasseurs les connaissent et savent fort bien les distinguer entre eux, sans jamais se tromper.

Cependant le chasseur était plongé dans l’eau jusqu’à la ceinture : en Amérique, si la chaleur du jour est étouffante, en revanche les nuits sont excessivement fraîches ; Bon-Affût sentait un froid glacial l’envahir de toutes parts. De guerre lasse et croyant s’être trompé, il se disposait enfin à abandonner la place et à remonter sur la rive, lorsque, au moment où il se décidait à exécuter ce mouvement, un corps dur vint frapper sa poitrine.

Il baissa les yeux et étendit instinctivement les mains en avant. Il étouffa un cri de surprise : ce qui l’avait touché, c’était le flanc d’une pirogue qui glissait sans bruit à travers les roseaux qu’elle écartait sur son passage.

Cette pirogue, de même que toutes les embarcations indiennes de ces parages, était construite en écorce de bouleau, détachée de l’arbre au moyen de l’eau chaude.

Bon-Affût examina cette mystérieuse pirogue, qui semblait s’avancer sans le secours d’aucun être humain, plutôt se laissant dériver au gré du courant que filant en ligne directe. Cependant une chose étonnait le Canadien, c’est que cette pirogue filait droit sans aucune oscillation. Évidemment un être invisible, un Indien probablement, la dirigeait ; cela ne faisait pas un doute. Mais où se tenait cet homme ? Était-il seul ? C’est ce qu’il était impossible de deviner.

L’anxiété du Canadien était extrême : il n’osait faire le moindre geste dans la crainte de révéler imprudemment sa présence ; cependant la pirogue filait toujours. Résolu à savoir enfin à quoi s’en tenir, Bon-Affût tira doucement son