Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/247

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rant du cheval, Curumilla l’attacha à un buisson et revint auprès de son prisonnier.

Celui-ci, avec ce courage stoïque et dédaigneux particulier aux aborigènes de l’Amérique, se voyant vaincu, n’essaya pas une résistancs inutile ; il regarda son vainqueur avec un sourire de mépris et attendit qu’il lui adressât la parole.

— Oh ! fit Curumilla, qui, en se penchant vers lui, le reconnut, Joan !

— Curumilla ! répondit l’autre.

— Hum ! murmura l’Ulmen à part lui, j’aurais préféré que ce fût un autre. Que fait donc mon frère sur cette route ? demanda-t-il à haute voix.

— Qu’est-ce que cela importe à mon frère ? dit l’Indien, répondant à une question par une autre.

— Ne perdons pas un temps précieux, reprit le chef en dégainant son couteau, que mon frère parle !

Joan tressaillit, un frisson d’épouvante parcourut ses membres à l’éclair bleuâtre jeté par la lame longue et aiguë du couteau.

— Que le chef interroge ! dit-il d’une voix étranglée.

— Où va mon frère ?

— À la tolderia de San-Miguel.

— Bon ! et pourquoi mon frère va-t-il là ?

— Pour remettre entre les mains de la sœur du grand toqui une femme que, ce matin, nous avons prise en malocca.

— Qui vous a ordonné ce rapt ?

— Celle que nous allons rejoindre.

— Qui dirigeait cette malocca ?

— Moi.

— Bon ! où cette femme attend-elle la prisonnière ?

— Je l’ai dit au chef : à la tolderia de San-Miguel.

— Dans quelle casa ?

— Dans la dernière, celle qui est un peu séparée des autres.

— Bien ! que mon frère change de poncho et de chapeau avec moi.

L’Indien obéit sans observation.

Lorsque l’échange fut effectué, Curumilla reprit :

— Je pourrais tuer mon frère ; la prudence exigerait même que je le fisse, mais la pitié est entrée dans mon cœur ; Joan a des femmes et des enfants, c’est un des braves guerriers de sa tribu, si je lui laisse la vie, me sera-t-il reconnaissant ?

L’Indien croyait mourir. Cette parole lui rendit l’espérance. Ce n’était pas un méchant homme au fond, l’Ulmen le connaissait bien, il savait qu’il pouvait compter sur sa promesse.

— Mon père tient ma vie entre ses mains, répondit Joan, s’il ne la prend pas aujourd’hui, je resterai son débiteur, je me ferai tuer sur un signe de lui.

— Fort bien ! dit Curumilla, en repassant son couteau dans sa ceinture, mon frère peut se relever, un chef a sa parole.

L’Indien bondit sur ses pieds et baisa avec ferveur la main de l’homme qui l’épargnait.