Page:Aimard - Le Grand Chef des Aucas, 1889.djvu/497

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lequel il n’aurait pu résister s’il n’avait été affaibli par la blessure que lui avait faite la Linda.

Le corps huileux de l’Indien n’offrait aucune prise au Français, tandis que son ennemi, au contraire, l’avait saisi par la cravate et l’étranglait de la main droite, pendant que de la gauche il tâchait de lui enfoncer son poignard dans les reins.

Ni Trangoil Lanec ni don Tadeo ne pouvaient porter secours à leur compagnon, occupés qu’ils étaient à se défendre eux-mêmes contre les Aucas qui les serraient de près.

C’en était fait de Valenlin. Déjà ses idées perdaient leur lucidité, il ne résistait plus que machinalement, lorsqu’il sentit les doigts qui serraient son coup se détendre graduellement. Alors, dans un dernier mouvement de rage, il réunit toutes ses forces, par une secousse violente il parvint à se dégager et à se relever sur les genoux.

Mais son ennemi, loin de l’attaquer ou de chercher à se défendre, poussa un profond soupir et retomba en arrière.

Antinahuel était mort.

— Ah ! s’écria la Linda avec une expression impossible à rendre, elle est sauvée !…

Et elle retomba évanouie entre les bras de sa fille, serrant encore dans ses mains avec une force inouïe son poignard, dont elle avait percé le cœur du chef en se traînant sur les genoux jusqu’à ce qu’elle pût l’atteindre.

On s’empressa autour de la malheureuse femme qui venait, en tuant l’ennemi le plus acharné de sa fille, de réparer si noblement ses fautes en se sacrifiant.

Longtemps les soins qu’on lui prodigua furent inutiles.

Enfin, elle soupira faiblement, ouvrit les yeux et, fixant un regard voilé sur ceux qui l’entouraient, elle saisit convulsivement sa fille et don Tadeo, les rapprocha d’elle et les contempla avec une expression de tendresse infinie, tandis que d’abondantes larmes coulaient sur son visage déjà couvert des ombres de la mort.

Ses lèvres remuèrent, une écume sanglante apparut aux coins de sa bouche et d’une voix basse et entrecoupée elle murmura :

— Oh ! j’étais trop heureuse !… tous deux vous m’aviez pardonné !… mais Dieu n’a pas voulu ! Cette mort terrible désarmera-t-elle sa justice !… Priez… priez pour moi !… afin que plus tard nous nous retrouvions au Ciel !… je meurs !… adieu !… adieu !…

Un frémissement convulsif agita tout son corps, elle se releva presque droite et retomba comme frappée de la foudre.

Elle était morte.

— Mon Dieu, s’écria don Tadeo en levant les yeux au ciel, pitié, pitié pour elle !

Et il s’agenouilla auprès du corps.

Ses compagnons l’imitèrent pieusement, et prièrent pour la malheureuse que le Tout-Puissant venait si subitement de rappeler à lui.