Page:Aimard - Le forestier.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
Le Forestier

Une protestation unanime s’éleva aussitôt.

— Votre retard n’en est pas un, mon cher Ourson, reprit M. d’Ogeron, puisque nous ne vous avons précédé ici que de cinq minutes à peine.

Ourson prit place à côté de ses amis ; ses chiens et ses sangliers se couchèrent à ses pieds.

— À votre santé dit-il en se versant de l’eau dans un gobelet.

En l’apercevant, maitre Kornick avait apporté une carafe ; le capitaine Ourson Tête-de-Fer ne buvait jamais que de l’eau.

Les boucaniers trinquèrent gaiement avec le capitaine, mais leurs gobelets étaient remplis de rhum jusqu’au bord.

Un rayon de soleil pénétra dans la salle comme une flèche d’or.

Au même instant on entendit résonner au dehors des fifres et des tambours, mêlés aux piétinements d’une grande foule qui riait, criait et chantait.

— Vos ordres s’exécutent, Montbarts, dit en souriant le gouverneur.

— Non seulement ici, mais encore à Port-Margot, à Leogane, à la Tortue, partout enfin : n’est-ce pas, Ourson ?

— J’ai moi-même, afin d’éviter tes malentendus, porté tes ordres dans toutes les localités.

— Quelle foule ! s’écria Pierre Legrand en regardant dans la rue.

— Il nous faut du monde, dit Ourson en hochant ta tête.

— Oui, l’affaire sera rude.

— Mais nous porterons un coup mortel au commerce espagnol.

— Il lui faudra des années pour se relever.

— Avez-vous reçu des nouvelles du beau Laurent ? demanda le gouverneur.

— Aucune.

— Hum !

— Cela n’a rien d’extraordinaire, reprit Montbarts ; avant de tenter son débarquement à l’isthme, Laurent devait remonter jusqu’aux environs du cap Horn, où Vent-en-Panne se trouvait en croisière, afin de s’aboucher avec lui, de lui expliquer le plan que nous avons formé, puis ensuite revenir sur ses pas. Le trajet n’est pas mince. Remarquez qu’il a appareillé le janvier de Port-de-Paix. Il est vrai que c’est la saison d’été dans ces parages et que nous ne sommes qu’au 10 mars.

— C’est vrai, cependant…

— Laurent, lui-même, avait si bien prévu les retards et tes difficultés de la navigation qu’il entreprenait, qu’il nous avait fixé te 10 mars pour t’enrôlement, si nous n’avions pas de nouvelles de lui ; et vous le savez, monsieur le gouver-