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Le Forestier

maintenir dans cette ignorance et augmenter encore leur inquiétude en leur donnant le change. Pour cela, voilà, je crois, ce qu’il est bon de faire.

Les officiers se rapprochèrent et redoublèrent d’attention.

L’amiral reprit, après un instant de silence

— Nous quitterons Port-de-Paix tous ensemble ; à dix lieues en mer, sur un signal arboré au grand mat du vaisseau amiral, la flotte se scindera en trois, de la manière suivante l’amiral Morgan, qui déjà s’est une fois emparé de Porto-Bello, fera voile directement sur ce point, qu’il enlèvera et dans lequel il préparera, après s’y être solidement établi, tous les moyens de débarquement, les bêtes de somme et les engins de transport qu’il pourra se procurer. L’amiral Pierre Legrand se dirigera, lui, vers l’ile Sainte-Catherine qu’il occupera. Cette ile est riche, bien fournie en vivres et munitions de toutes sortes, elle sert à la fois d’entrepôt et d’arsenal aux flottes espagnoles ; Pierre Legrand préparera le plus rapidement possible tout ce qui sera nécessaire pour le ravitaillement de la flotte il laissera une garnison suffisante à Sainte-Catherine, et six navires pour surveiller les atterrissages de l’île, car c’est là que nous évacuerons nos malades et nos blessés et que sera établi le rendez-vous général au retour de l’expédition puis, son escadre chargée des ravitaillements qu’il aura réunis, il ralliera la flotte au port de Brujas, en ayant soin de faire prévenir par une mouche Morgan de son arrivée, afin que celui-ci le puisse rejoindre ; Ourson Tête-de-Fer piquera droit dans le vent avec la dernière escadre, de façon à mouiller à l’entré du Rio San Juan, à quelques lieues à peine de Chagrès, point sur lequel s’exécutera le débarquement général. En agissant ainsi, je crois que nous parviendrons à maintenir les Espagnols dans leur erreur et à leur donner le change sur nos projets ; car, tandis qu’ils s’acharneront à surveiller les mouvements de Morgan et de Pierre Legrand et à s’opposer à leur descente sur l’ile Sainte-Catherine et à Porto-Bello, l’escadre d’Ourson Tête-de-Fer passera inaperçue et ira sans être inquiétée mouiller droit où nous voulons débarquer ; de plus, solidement établis à Sainte-Catherine et à Porto-Bello, nous sommes à la fois maitres de la mer et de l’isthme et à peu près libres, par conséquent, d’agir contre Panama sans craindre d’être sérieusement inquiétés par des forces considérables, venant d’autres colonies de la côte ferme au secours de la ville, dont nous prétendons nous emparer. Voilà, messieurs, le plan que j’ai conçu pour l’exécution de la première partie de nos projets ; veuillez réfléchir sérieusement à ce que vous venez d’entendre et faites-moi l’honneur de me soumettre vos observations que j’écouterai avec toute la déférence que je dois à des hommes comme vous, si au fait des choses de la guerre.