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Le Forestier

terre, fit signe à son page de le suivre, et après avoir confié ses chevaux à son domestique qui les emmena aussitôt, il fit signe à l’un des nombreux bateliers dont les embarcations stationnaient le long du quai à la disposition des promeneurs, et il se fit conduire à bord de la corvette la Perla.

La corvette la Perla était un magnifique bâtiment, fin, élancé, ras sur l’eau, élégant, dont la coquette mâture un peu haute et crânement penchée en arrière avait son gréement tenu avec le plus grand soin ; la Perla portait vingt-quatre canons et sortait des chantiers du Ferrol ; c’était un des navires les mieux espalmés et les plus soigneusement entretenus de toute la marine espagnole, qui cependant était encore à cette époque, après la marine hollandaise, la plus belle du monde.

Le capitaine don Pablo de Sandoval, malgré ses fanfaronnades un peu trop andalouses, était, en réalité, un excellent marin, d’une bravoure à toute épreuve ; il aimait sa corvette comme on aime une maîtresse chérie et s’ingéniait sans cesse pour la rendre plus élégante et plus coquette.

L’embarcation aborda à tribord ; don Pablo attendait le comte au bas de l’escalier d’honneur, appliqué au flanc du navire : en apercevant l’ordre de la Toison d’Or qui brillait sur la poitrine du comte, il poussa un cri de surprise et d’admiration.

Don Fernan sourit en remarquant cette émotion involontaire.

— J’ai voulu vous faire honneur, lui dit-il en lui tendant la main.

Ils montèrent à bord, où le comte fut reçu avec tous les honneurs dus à son rang.

— Suis-je en retard, mon cher capitaine ? demanda négligemment le comte.

— Non pas, personne n’est arrivé encore, Excellence.

— Mon cher don Pablo, faites-moi donc un plaisir ?

— Je suis aux ordres de Votre Excellence.

— Eh bien, une fois pour toutes, abstenez-vous de me donner à tout bout de champ le titre d’Excellence ou de comte ; nous sommes trop liés ensemble pour que nous continuions à user l’un envers l’autre de telles cérémonies.

— Mais alors comment nommerai-je Votre Excellence, monsieur le comte ?

— Encore ! vous êtes incorrigible, sur ma parole ! reprit-il en riant.

— C’est que je ne sais comment faire ?

— Eh, pardieu appelez-moi don Fernan, comme je vous nomme don Pablo, c’est bien simple, il me semble.

— Si vous l’exigez.

— Je n’ai le droit de rien exiger de vous, capitaine ; je ne puis que vous prier, et c’est ce que je fais.