Page:Aimard - Le forestier.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
Le Forestier


Il s’affaissa sur lui-même, poussa un soupir de désespoir et roula aux pieds de No Santiago, non pas évanoui, mais, malgré son courage de lion, trahi par sa faiblesse.

Le forestier s’élança vers lui, le releva et l’assit sur le tronc renversé d’un arbre tombé de vieillesse.

L’orage redoublait d’intensité, les éclairs se succédaient avec une rapidité telle que le ciel, d’un bout de l’horizon à l’autre, ressemblait à une immense nappe de feu d’un jaune pâle et sinistre.

Le tonnerre grondait et roulait sans interruption avec des éclats terribles ; le vent mugissait avec une rage irrésistible, fouettant les branches, tordant et brisant les arbres comme des fétus de paille, les emportant dans sa course échevelée, et les faisant tourbillonner dans l’espace ; la pluie qui tombait avec un redoublement de force changeait le terrain en marécages où l’on enfonçait presque jusqu’à mi-jambe ; des torrents impétueux se précipitaient du haut de la montagne avec un bruit horrible, entraînant et renversant tout sur leur passage, détruisant les sentiers et ouvrant des fondrières d’une profondeur insondable.

C’était un spectacle d’une effroyable beauté que celui offert par cette manifestation grandiose de la colère divine.

Si le forestier eut été seul, quelques minutes à peine lui auraient suffi pour gagner sa demeure, mais il ne voulait pas abandonner son compagnon ; cependant il ne se faisait aucune illusion sur la situation terrible dans laquelle il se trouvait demeurer où il était, c’était la mort, inévitable, horrible.

Il se pencha sur l’inconnu :

— Du courage, señor, lui dit-il doucement de cette voix qu’on emploie pour parler aux enfants ou aux malades.

— Ce n’est pas le courage qui me manque, monsieur, répondit l’inconnu, ce sont les forces ; les miennes sont totalement épuisées, je suis anéanti.

— Essayez de vous lever.

— Tout effort serait inutile, le froid me glace, je le sens qui gagne le cœur, je suis comme paralysé.

— Que faire ? murmura le forestier en se tordant les mains.

C’était une belle et forte nature que celle de cet homme, vaillante et énergique entre toutes ; une de ces natures d’élite qui luttent jusqu’au dernier souffle contre les obstacles même insurmontables et ne tombent que mortes.

— Tenez, señor, reprit l’étranger, dont la voix allait s’affaiblissant de plus en plus, ne résistez pas plus longtemps contre la fatalité qui s’acharne après