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Le Forestier

Alors il calcula froidement, avec cette netteté d’esprit de l’homme dont la résolution est inébranlable, que, en supposant qu’il ne fût pas brisé dans un précipice, englouti dans une fondrière ou complètement accablé par la fatigue qui déjà faisait perler une sueur froide à ses tempes, il lui fallait, si l’on ne venait pas à son secours, sept heures, de la façon dont il avançait, avant que d’atteindre la chaumière.

— À la grâce de Dieu ! murmura-t-il, il est au bout de tout ; il arrivera ce que dans sa divine sagesse il a décidé déjà sans doute ; mais, tant que mes forces me resteront, je ne m’abandonnerai pas et je continuerai la lutte, mais combien de minutes encore conserverai-je mes forces ?

Il étouffa un soupir et redoubla ses efforts déjà prodigieux. Quelques minutes s’écoulèrent.

L’inconnu pendait, masse inerte, sur l’épaule du forestier, sans donner signe de vie. Il était mort ou privé de sentiment.

Tout à coup des aboiements furieux se firent entendre à peu de distance.

Le forestier s’arrêta ; il respira à deux ou trois reprises, et un sourire joyeux éclaira son mâle visage.

— Voilà mes braves chiens, dit-il, tout est sauvé !

Alors réunissant toutes ses forces :

— Oh là ! oh cria-t-il d’une voix stridente qui domina le fracas de la tempête : hallo ! oh ! mes bellots ! arrea ! arrea !

Les chiens redoublèrent leurs aboiements et bientôt ils apparurent suivis à quelques pas par deux hommes qui tenaient des torches.

— Dieu soit béni ! vous voilà enfin s’écrièrent ces deux hommes avec une joie presque religieuse, tant ils adoraient leur maître.

— Mais qu’est cela ? demanda Pedro.

— Un homme que j’ai sauvé et qui a grand besoin de secours, mon ami.

— La señora s’était bien doutée qu’il y avait quelque chose comme cela sous jeu, dit Juanito d’un ton bourru.

— La señora ! J’espère que par ce temps horrible elle n’est pas dehors ? s’écria-t-il vivement.

— Non, non, señor, rassurez-vous, elle est là-bas ; nous avons eu assez de peine à l’empêcher de venir !

— Digne et sainte créature ! murmura le forestier.

— Mais ce n’est pas tout cela, notre maître, il faut sortir d’ici, et le plus tôt sera le mieux.

— Oui, oui, hâtons-nous, ce pauvre malheureux est bien mal.