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Le Forestier, par Gustave Aimard

— Eh, père, répondit No Santiago à voix haute, il est de bonne heure encore : avant de vous enfermer avec ces dames, ne voulez-vous pas venir faire un tour avec moi dans-la vallée ? le gibier abonde en ce moment peut-être tuerons-nous quelque chose pour le dîner.

— Vous, et non moi, cher señor : vous savez que je ne chasse jamais dit le prêtre avec un doux sourire ; cependant, puisque vous semblez le désirer, je vous accompagnerai avec plaisir, je crois qu’un peu d’exercice me fera du bien après une longue course à cheval.

— Allez, padre, dit doña Maria, mais ne demeurez pas trop longtemps dehors avec mon mari ; surtout prenez garde qu’il ne vous entraîne trop loin songez que nous vous attendons avec impatience.

— Dans une heure au plus, nous serons de retour, n’est-ce pas, No Santiago ?

— Nous reviendrons quand vous voudrez, padre.

— À la bonne heure, reprit doña Maria, voilà parler ; bien du plaisir, soñores.

Les deux hommes partirent aussitôt ; ils ne s’entretinrent que de choses indifférentes tant qu’ils furent en vue de la chaumière ; mais après avoir fait plusieurs coudes, ils atteignirent un bois assez touffu sous le couvert duquel, tout en surveillant ce qui se passait autour d’eux, ils pouvaient causer tout à leur aise sans craindre d’être surpris ou entendus.

Le forestier se coucha à demi sur le gazon, fit signe au prêtre de se placer prés de lui, et ordonna à ses chiens de faire bonne garde.

— Maintenant, dit-il au père Sanchez, me voici prêt à vous écouter. Qu’avez-vous à me dire, mon vieil ami ?

— Mon ami, répondit le prêtre de sa voix sympathique, je désire seulement vous raconter une histoire.

— Une histoire ?

— Oui, mon ami, reprit-il avec son fin sourire, une histoire dont, bien entendu, vous serez libre de tirer la conséquence vous-même.

— Ah ! fort bien ; je vous comprends, padre ; parlez, je vous écoute.

— Or, mon ami, reprit le prêtre, il y avait en ce temps-là un grand roi d’Espagne nommé don Felipe, je ne me souviens plus du chiffe, c’est-à-dire si c’était un, deux, trois ou quatre.

— Peu importe ; continuez, padre. Vous disiez donc ?

— Je disais donc que ce roi don Felipe — le numéro ne fait rien à la chose — était un grand voyageur ; et s’il voyageait ainsi, c’était, dit la chronique…

(Liv. 6)