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Le Forestier

— Assez, padre, assez s’écria tout à coup le forestier, dont le visage était livide ; laquelle aime-t-il !

— Cristiana !

— Cristiana, la plus chérie ! murmura-t-il mais elle ne l’aime pas, elle ! reprit-il avec violence.

— Elle l’aime ! dit nettement le prêtre.

— Oh ! lâcheté humaine s’écria le forestier avec désespoir, cet homme qui me doit la vie ; ce roi que j’ai vu haletant, à mes pieds ; que j’ai sauvé au risque de périr moi-même voilà donc la récompense qu’il me réservait ! Oh ! c’est horrible ! ils sont bien tous les mêmes, ces tyrans couronnés que la sotte multitude met au-dessus du droit commun, et pour lesquels il n’y a rien de sacré que leurs hideux caprices !

— Calmez-vous, mon ami, au nom du ciel !

— Me calmer ! s’écria-t-il avec égarement. Ah çà ! mais vous, ministre d’un Dieu de paix, de quel droit me venez-vous conter cette horrible histoire ; elle est donc connue de tous maintenant ? Mon honneur est donc livré à la risée générale ?

— Je vous ai conté cette histoire, señor, dit froidement le prêtre, parce que tout peut encore se réparer, que votre fille est pure, la sainte et naïve enfant ; que vous pouvez fuir et la soustraire ainsi aux poursuites du roi.

— Fuir, moi s’écria-t-il avec éclat ! Ah ! vous me connaissez mal, mon père ; je sais né pour la lutte, moi ! Par le Dieu vivant ! je ferai bravement face à l’orage, au contraire.

— Prenez garde, ami, vous vous perdez !

— Padre, reprit-il avec un froid glacial, il faut que votre amitié pour moi soit bien véritable pour que vous ayez risqué ainsi votre vie sur un coup de dé en me racontant cette hideuse histoire ; je vous remercie sincèrement, car, sans hésitation, vous m’avez montré le précipice ; peu d’hommes à votre place se seraient sentis capables d’un si grand courage ; votre main, je vous aime ; oh oui ! je vous aime ! car vous vous êtes montré pour moi un véritable ami ; écoutez-moi ; demain à la première heure il accourra chez moi, ce roi, ce misérable, ce séducteur couronné qui paie le plus noble dévouement par la plus ignoble trahison. Promettez-moi, sur l’honneur, de vous trouver ici demain à midi précis. Me le promettez-vous ?

— Que prétendez-vous faire, mon ami  ?

— Cela me regarde ; rassurez-vous, ma vengeance, si je me venge, sera noble et digne de moi.

— Je vous engage ma parole, mais à une condition.