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Le Forestier

perdu beaucoup de son agilité. Son adversaire, froid, méthodique, calculait ses coups et ne se livrait jamais ; son épée se tordait autour de lui comme un serpent et lui formait une impénétrable cuirasse.

Gaston comprit que si le combat durait plus longtemps il était perdu ; alors il changea de tactique : il se fendit sur son adversaire, engagea le fer jusqu’à la garde, et faisant un bond en avant, avant que celui-ci put revenir à la parade, il lui planta sa dague dans le cœur.

Le comte tomba sans jeter un soupir ; il était mort.

Les quatre ennemis du jeune homme gisaient à ses pieds.

— Ai-je fait en homme de cœur et en gentilhomme ? demanda-t-il en piquant en terre la pointe de son épée ?

— Oui, répondirent tristement ses amis, vous avez noblement combattu.

— Et maintenant lisez ce papier à voix haute, duc de Médina Sidonia.

Et il remit au duc un papier que celui-ci lut aussitôt : c’était le contrat de mariage du roi Philippe IV avec doña Cristiana.

— Donc je ne suis pas un bâtard ! dit-il d’une voix fière.

Tous s’inclinèrent.

Le jeune homme prit alors son épée et la brisa sur son genou.

— Ecoutez tous, dit-il, cette épée que je brise, c’est mon serment de fidélité à la couronne d’Espagne que je romps ; je renonce à ma patrie ; je ne veux plus servir un roi parjure, qui fait litière de l’honneur des femmes de sa noblesse et désavoue ses enfants ! Tant que je vivrai, la monarchie espagnole n’aura pas de plus cruel ennemi que moi ! Je la poursuivrai partout, sans trêve et sans merci ; dites-le au roi, messeigneurs, afin qu’il sache bien que ce fils qu’il a renié et auquel il a lâchement volé tous ses droits, a conservé le plus précieux de tous, son honneur ! Adieu à jamais, messieurs ! Le comte de Transtamarre est mort ! bientôt vous entendrez parler du vengeur ! Sur les cendres de ma mère, morte victime de ce misérable couronné, je vous le jure ! ajouta-t-il d’une voix stridente.

Il jeta un manteau sur ses épaules, monta sur son cheval et partit ventre à terre sans que personne songeât à s’opposer à son départ.

Les assistants étaient frappés de stupeur ; il ne savaient s’ils étaient bien éveillés ou bien s’ils étaient en proie à un cauchemar horrible.

Le duc de Biscaye avait écouté ce terrible récit avec une joie sombre.

— Bien, mon fils, dit-il au jeune homme, lorsque celui-ci eut enfin terminé ; je reconnais le descendant des Tormenar ; mais ce serment terrible que tu as prononcé, il faut le tenir, mon fils.

— Jusqu’à la mort, mon père, je vous le jure !