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Le Forestier, par Gustave Aimard

— Là ! dit l’homme resté dans la pirogue, après une recherche minutieuse sous les bancs, voilà qui est fait, tout est débarqué.

— Tu es sûr que nous n’avons rien oublié, Michel ? demanda l’homme le plus rapproché de l’embarcation.

— Pardieu ! Monseign…

— Hein ? s’écria vivement son interlocuteur dont l’œil noir lança un fulgurant éclair.

— Pardon la langue m’a fourché, répondit l’autre en s’excusant. D’ailleurs, ne parlons-nous pas français ?

— En effet, mais je t’ai ordonné, ou plutôt prié… reprit-il d’un ton plus doux.

— Bah ! dites ordonné, ne vous gênez pas, fit l’autre d’un ton bourru : une prière de vous n’est-elle pas un ordre pour moi ? N’ayez peur, on ne m’y reprendra plus, c’est la dernière fois.

— J’y compte.

— Que faut-il faire maintenant ?

— Saborde rondement et en route, matelot ; voilà le soleil qui sort de la mer ; bientôt il ne fera pas bon ici pour nous.

— C’est juste.

Alors Michel, puisque tel est son nom, saisit une hache et en asséna deux coups vigoureux dans le fond de la pirogue qui s’emplit d’eau si rapidement qu’il eut a peine le temps de s’élancer d’un bond prodigieux sur l’arbre, pour ne pas être englouti avec elle.

Les trois singuliers voyageurs, après ce naufrage factice et s’être assurés que rien de l’embarcation ne surnageait, sautèrent sur le rivage, ou ils se chargèrent en une seconde des paquets qu’ils avaient précédemment débarqués.

— Maintenant, chef ou qui que vous soyez, dit le premier interlocuteur en se tournant vers celui de ses compagnons qui jusqu’alors était demeuré silencieux, le reste vous regarde.

— Suivez-moi, caballeros, répondit celui auquel il s’adressait.

— Un instant, reprit l’autre en lui posant rudement la main sur l’épaule et le regardant fixement ; nous sommes entre vos mains, Michel le Basque et moi ; souvenez-vous qu’à la moindre apparence de trahison, foi de boucanier, je vous tue comme un chien.

L’indien, car l’homme auquel l’aventurier faisait cette terrible menace était un Indien, supporta sans se troubler le regard qui pesait sur lui ; il sourit doucement et d’une voix grave :

(Liv. 11)