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Le Forestier

Le brave aventurier était loin de se douter que, comme ruse, adresse et astuce, il y a chez l’Indien le plus candide en apparence, l’étoffe généreusement taillée de trois Bas-Normands, de deux Bas-Bretons et de pareil nombre de Gascons ou Basques, gens, au dire de chacun, ce que Dieu me garde de garantir ! les plus madrés qui soient sur la surface de ce globe sublunaire.

En conséquence, l’aventurier se croyant à peu près sûr de son fait et jugeant inutile d’user de certaines précautions, interpella carrément son guide.

— Ohé, José ! cria-t-il d’une voix joyeuse, ne pourriez-vous courir un peu moins vite et vous venir placer à ma botte ? Nous causerions tout en cheminant, ce qui nous aiderait a tuer le temps, qui entre nous me semble diablement long par ce soleil à cuire la carapace d’une tortue ?

— À votre aise, señor, répondit paisiblement l’Indien, mais à quoi bon causer quand on peut dormir ? Voyez votre compagnon, il a pris le bon parti et se laisse bercer doucement par son cheval ; pourquoi n’imitez-vous pas son exemple ?

Pour deux raisons, cher ami, répondit te jeune homme en goguenardant : la première est que je ne me sens aucune envie de dormir, la seconde que je ne suis pas fâché de me rendre compte de la route que nous suivons.

— Rien de plus facile, puisque vous avez tes yeux si bien ouverts, señor ; nul besoin n’est de causer pour cela.

— C’est juste, mon bon ami, parfaitement juste, je le reconnais ; cependant, si cela ne vous désoblige pas trop, je serai charmé de jouir de votre conversation je vous avoue que j’aime beaucoup causer ; ce qui, du reste, est un des plus sûrs moyens de s’instruire.

— Ah ! vous voulez vous instruire, señor ?

— Ma foi ! oui, j’en ai l’ardent désir.

— Voyez comme vous tombez mal, mon cher señor, répondit l’Indien d’une voix railleuse je suis peut-être l’homme le plus incapable de vous donner cette satisfaction que vous ambitionnez si fort.

— On ne sait pas, cher ami, on ne sait pas, venez toujours près de moi, si cela ne vous déplaît pas trop, et causons de choses et d’autres peut-être, sans que nous nous eu doutions ni l’un ni l’autre, sortira-t-il quelque chose de cet entretien à bâtons rompus.

— Je ne le pense pas ; cependant, pour ne point vous désobliger, je me rends a votre désir. Maintenant causons ou plutôt causez, señor, me voici prêt à vous répondre, si je le puis.

Tout en partant ainsi, l’Indien avait ralenti son pas et s’était placé à la droite de l’aventurier.