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Le Forestier

Le soleil avait disparu pour ainsi dire subitement derrière d’immenses nuages jaunâtres qui roulaient dans le ciel avec la rapidité vertigineuse d’une armée en déroute ; bien qu’il n’y eut pas un souffle dans l’air, la chaleur était suffocante ; on respirait du feu, les oiseaux voletaient lourdement, ils tournoyaient affolés dans l’espace en poussant des cris rauques et saccadés ; des animaux de toutes sortes émergeaient des bois et des forêts, fuyant effarés dans toutes les directions avec des hurlements lugubres.

Prodige étrange et terrible ; les eaux de la rivière semblaient tout à coup être devenues stagnantes ; le courant, si rapide d’ordinaire, avait subitement disparu, et les eaux étaient lisses et immobiles comme la surface d’un miroir.

Les arbres, les broussailles, les brins d’herbe eux-mêmes, comme subissant une commotion intérieure, avaient du sommet à la base des frémissements qui les agitaient avec une force électrique.

On entendait comme un écho lointain dans les mornes, des grondements sourds et indéfinissables.

Les chevaux des voyageurs, les naseaux à terre, renâclaient avec force, grattaient le sol et, l’œil ardent, les oreilles couchées, en proie à une terreur innommée, refusaient d’avancer et poussaient par intervalle des hennissements plaintifs :

— Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda don Fernan avec une surprise presque mêlée de crainte.

— Cela veut dire, señor, qu’à moins d’un miracle nous sommes perdus, répondit froidement le guide.

— Perdus allons donc ! s’écria le jeune homme, et pourquoi cela, ne pouvons-nous pas chercher un refuge ?

— Le chercher, oui ; le trouver, non ; il n’y a pas de refuge contre le terremoto.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il va y avoir temporal compliqué de tremblement de terre.

— Diable ! c’est sérieux alors ?

— Plus que sérieux terrible.

— Sommes-nous loin de la halte de nuit ?

— Deux lieues à peine.

— Ce n’est rien, un temps de galop et…

— Trop tard ! s’écria tout à coup le guide à bas de cheval tout de suite, ou vous êtes perdu !

— Et saisissant le jeune homme par la ceinture, il l’enleva de selle et se coucha sur le sol auprès de lui.