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Le Forestier

remercia son maître avec d’autant plus d’effusion qu’il savait que d’abord celui-ci voulait le renvoyer.

L’haciendero désigna les appartements qu’il prétendait occuper, ainsi que ceux qu’il réservait à sa femme et à sa fille, donna l’ordre qu’ils fassent prêts pour le soir même, et, de plus en plus satisfait de son acquisition, il acheva la visite de l’hacienda dans les dispositions les plus charmantes.

Le mayordomo ne lui fit pas grâce d’une chambre de cette immense habitation et il le conduisit partout ; un peu sans doute pour faire valoir aux yeux de son maître le soin qu’il avait apporté à ce que tous les ameublements se conservassent en bon état ; la visite fut longue, mais quel est le propriétaire* qui se fatigue à contempler ses richesses ?

Depuis près de deux heures l’haciendero et son mayordomo montaient, descendaient, allaient à droite, tournaient à gauche, parcouraient les corridors, sondaient les murs, ouvraient les portes dérobées, franchissaient les escaliers secrets, car cette maison, bâtie dans l’ancien style féodal, était pour ainsi dire double ; les appartements et les passages inconnus étaient plus importants que ceux qui ouvraient leurs portes et leurs fenêtres au grand soleil.

Les deux hommes avaient atteint l’aile droite de l’hacienda, construite en forme de tour sarrasine, se terminant au sommet par une espèce de mirador d’où on apercevait la campagne à une grande distance. Don Jésus allait redescendre dans la cour d’honneur, lorsqu’un courant d’air s’engouffra dans la salle où il se trouvait, agita les draperies et, comme peut-être elles étaient mal attachées, une de ces draperies tomba et, en tombant, démasqua une porte si bien ajustée et si adroitement enchâssée dans le mur, qu’il fallait regarder avec le plus grand soin pour la reconnaître ; du reste, cette porte paraissait ne pas avoir été ouverte depuis très longtemps ; on n’y voyait aucune trace de serrures.

L’haciendero regarda le mayordomo celui-ci était pâle et frissonnant ; une sueur froide perlait en larges gouttelettes sur son front.

— Où conduit cette porte ? demanda don Jesus.

— Je l’ignore, répondit en hésitant le mayordomo.

— Ouvrez-la.

— C’est impossible.

— Pourquoi ?

— Voyez vous-même, señor ; elle n’a ni serrure ni verrous ; de plus, elle paraît condamnée depuis longtemps. On la nomme, je ne sais pourquoi, la porte del Moro. L’ancien propriétaire l’a, dit-on, fait murer.