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LES CHASSEURS D’ABEILLES


XVI

UN RELAIS DE POSTE DANS LES PAMPAS


Les pampas sont les steppes de l’Amérique du Sud, avec cette différence pourtant que ces immenses plaines qui s’étendent depuis Buenos-Ayres jusqu’à San-Luis-de-Mendoza, au pied des Cordillères, sont couvertes d’épais rideaux de verdure qui ondulent au moindre souffle du vent, et coupées de distance en distance par de nombreux et puissants cours d’eau qui les sillonnent dans tous les sens.

L’aspect des pampas est d’une monotonie et d’une tristesse désespérantes : pas de bois, pas de montagnes, aucun terrain qui rompe la régularité fatigante du paysage et forme une oasis de sable ou de granit au milieu de cet océan de verdure.

Deux seules routes traversent la pampa et relient l’océan Atlantique au Pacifique.

La première mène au Chili en passant par Mendoza ; la seconde conduit au Pérou par Tucuman et Salta.

Ces vastes solitudes sont parcourues par deux races d’hommes continuellement en guerre l’une contre l’autre : les Indiens bravos ou Pampas, et les gauchos.

Les gauchos forment une caste particulière aux provinces argentines et qu’on chercherait vainement ailleurs.

Chargés de surveiller les troupeaux de bœufs et de chevaux sauvages qui paissent au hasard dans toute l’étendue des plaines, ces hommes, d’origine blanche pour la plupart, mais depuis longtemps croisés avec les aborigènes, sont devenus, avec le temps, presque aussi barbares que les Indiens eux-mêmes, dont ils ont pris l’astuce et la cruauté. Ils vivent à cheval, couchent sur le sol nu, se nourrissent de la chair de leurs bestiaux lorsque la chasse leur fait faute, et s’approchent rarement des haciendas ou des villes, si ce n’est pour y échanger des cuirs, des plumes de ñandus et des fourrures, contre des alcools, des éperons d’argent, de la poudre, des couteaux et les étoffes de couleurs voyantes dont ils aiment à se parer.

Vrais centaures du Nouveau-Monde, aussi rapides que les cavaliers tartares des steppes sibériens, ils se transportent avec une vélocité prodigieuse d’une extrémité à l’autre de la Bande Orientale, ne reconnaissant d’autre loi que leur caprice, d’autre maître que leur volonté, car pour la plupart ils ne connaissent pas les fermiers qui les emploient et qu’ils ne voient qu’à de forts longs intervalles.

Les gauchos sont presque aussi redoutés que les Indiens des voyageurs, qui ne se hasardent qu’en nombre considérable dans la pampa, afin de se prêter un secours mutuel contre les agressions auxquelles ils sont exposés de la part des Indiens, des gauchos et des bêtes fauves.