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LES CHASSEURS D’ABEILLES

Le blessé, fatigué des émotions sans nombre de la journée, plus encore affaibli par le sang qu’il avait perdu, s’en rapporta provisoirement au hasard du soin de le tirer de la position fâcheuse et incompréhensible dans laquelle il se trouvait, et, fermant les yeux après avoir jeté autour de lui ce regard en apparence distrait, mais auquel rien n’échappe, propre aux prisonniers, il s’endormit d’un sommeil profond qui dura plusieurs heures et qui rendit à son esprit tout son calme et toute sa lucidité primitive.

Les gens attachés à son service, quoique muets et masqués, avaient pour lui les plus grands soins et semblaient prendre à tâche de satisfaire tous ses désirs et de contenter ses moindres caprices.

Dans le fait, la position était tolérable : au fond, elle ne manquait pas d’une certaine originalité ; don Fernando, convaincu au bout de deux jours que, loin d’en vouloir à sa vie, on cherchait au contraire à guérir ses blessures le plus tôt possible, finit par prendre bravement son parti en attendant des temps meilleurs.

Le troisième jour de sa captivité, don Fernando, dont les blessures, qui n’étaient que des estafilades, se trouvaient presque cicatrisées, s’était levé, un peu pour essayer ses forces et un peu afin de tâcher, en jetant des regards au dehors, de reconnaître où il était en cas d’une tentative d’évasion qu’il mûrissait tout doucement dans son esprit.

Le temps était magnifique, un chaud rayon de soleil entrait joyeusement par les fenêtres et venait tracer de larges raies sur le plancher de la chambre à coucher qui servait de prison au jeune homme.

Il se sentit tout ragaillardi et essaya quelques pas sous le regard de son inévitable gardien, dont les yeux flamboyants ne le quittaient pas d’une seconde.

Tout à coup une clameur formidable se fit entendre et une volée de canon fit vibrer les vitres.

— Qu’est cela ? demanda le jeune homme.

Le gardien haussa les épaules sans répondre.

Le pétillement sec de la fusillade se mêla en ce moment au bruit du canon ; il était évident qu’un combat acharné se livrait à peu de distance.

Le gardien, toujours impassible, ferma les fenêtres.

Don Fernando s’approcha de lui. Les deux hommes se considérèrent un instant ; maintes fois le jeune homme avait adressé la parole à cette sentinelle de granit sans parvenir à en tirer une réponse ; il hésita une seconde avant de tenter un nouvel effort.

— Ami, dit-il enfin d’une voix douce, que se passe-t-il au dehors ?

L’homme resta muet.

— Répondez-moi, au nom du ciel ! reprit-il en insistant ; ce que je vous demande est peu de chose, vous ne manquerez pas aux instructions qui vous ont été données, en m’instruisant.

En ce moment le bruit sembla se rapprocher ; des pas pressés mêlés à des cris résonnèrent à peu de distance.

Le gardien se leva avec inquiétude, tira son machette du fourreau, sortit un pistolet de sa ceinture et se dirigea vers la porte, mais elle s’ouvrit subi-