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LES CHASSEURS D’ABEILLES

fous de douleur et réduits à l’impuissance, nous ne savions quel moyen employer pour retrouver celle que nous avons perdue ; du présidio jusqu’ici, nous sommes venus guidés par une piste invisible à nos yeux, mais que ceux de don Fernando, accoutumés à lire dans les pages sublimes du désert, distinguaient avec une facilité et une exactitude singulières. Arrivés ici, la piste a subitement disparu sans qu’il fût possible, après les recherches les plus minutieuses et les efforts les plus opiniâtres, de la retrouver. Depuis huit jours nous sommes campés ici. Chaque matin avant le lever du soleil, don Fernando, que les obstacles semblent plutôt exciter que rebuter, monte à cheval et recommence une recherche demeurée jusqu’à présent infructueuse. Hier, selon son habitude, il nous a quittés un peu avant le lever du soleil : eh bien ! qui sait si la cause de cette longue absence qui vous inquiète n’est pas la réapparition, à un point peut-être fort éloigné de l’endroit où nous sommes, de ces traces si longtemps et si vainement cherchées ?

— Dieu le veuille, mon ami ! cette pensée que vous émettez en ce moment m’est venue aussi à moi, mais quelle apparence que cela soit possible, après toutes les infructueuses tentatives que nous avons faites !

— Vous oubliez, don Pedro, que nous avons affaire à des Indiens Apaches, c’est-à-dire aux plus rusés pillards des prairies, à ceux qui savent le mieux dissimuler leur traces.

— Eh ! dit le capataz en leur faisant signe de prêter l’oreille, j’entends les pas d’un cheval.

— En effet, s’écria don Pedro avec un mouvement de joie.

— Oui, fit don Estevan, moi aussi j’entends du bruit, seulement ce bruit, au lieu d’être produit par le pas d’un seul animal, l’est évidemment par deux ou peut-être par trois.

— Mais don Fernando est parti seul du camp ! fit vivement don Pedro.

— Il aura probablement rencontré quelqu’un sur sa route, répondit don Estevan.

— C’est mal, reprit tristement l’haciendero, de plaisanter dans des circonstances telles que celles où nous nous trouvons, c’est presque insulter à ma douleur.

— Dieu me préserve d’avoir une telle pensée ! don Pedro ; le bruit se rapproche rapidement. Nous saurons bientôt à quoi nous en tenir ; je ne vois rien d’extraordinaire à ce que don Fernando se soit emparé de quelque rôdeur indien au moment où celui-ci, blotti dans un buisson, espionnait notre campement et surveillait nos démarches.

— Canarios ! c’est en effet ce qui est arrivé ! s’écria joyeusement le capataz : regardez.

En ce moment la voix sonore et accentuée de don Fernando répondit au qui vive ! de la sentinelle, et deux cavaliers émergèrent des épais taillis qui enveloppaient la clairière et lui formaient une espèce de retranchement naturel.

C’était, en effet, don Fernando qui arrivait ; seulement il était accompagné d’un homme que, probablement dans la crainte qu’il n’essayât de lui échapper, il avait solidement attaché sur un cheval.