Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
LES CHASSEURS D’ABEILLES

avec une apathie et un fatalisme extrêmes à la loi, si dure qu’elle soit, qu’il plaît au vainqueur de leur imposer.

Des vingts guerriers apaches, huit seulement vivaient encore, les autres avaient été massacrés.

— Au lever du soleil je viendrai moi-même vous rendre la liberté, dit le chasseur ; d’ici là n’essayez pas de rompre vos liens : vous me connaissez, je pardonne une fois, jamais deux.

Les Mexicains ramassèrent les armes jetées par les Indiens, et s’éloignèrent.

Les chevaux des Apaches étaient entravés à une extrémité du camp, le Cœur-de-Pierre les chassa dans la forêt où ils disparurent en bondissant.

— Maintenant, dit le chasseur, retournons auprès de la señorita.

— Reviendrez-vous réellement rendre la liberté à ces hommes ? demanda l’haciendero.

— Certes : voulez-vous que je les expose à être dévorés tout vivants par les bêtes fauves ?

— Ce ne serait pas un grand malheur, observa le rancuneux capataz.

— Ne sont-ils pas des hommes comme nous ?

— Oh ! fit le capataz, ils le sont si peu, que ce n’est vraiment pas la peine d’en parler.

— Ainsi, vous oserez vous livrer entre les mains d’hommes féroces exaspérés par leur défaite ? reprit l’haciendero, vous ne craignez pas qu’ils vous assassinent ?

— Eux ! répondît le chasseur avec un dédain superbe, ils n’oseraient.

Don Pedro ne put retenir un geste d’étonnement.

— Les Peaux-Rouges sont les plus vindicatifs des hommes, dit-il.

— Oui, répondit-il, mais je ne suis pas un homme pour eux.

— Qu’êtes-vous donc ?

— Un mauvais génie, murmura-t-il d’une voix sourde.

En ce moment ils arrivèrent à l’endroit où ils avaient laissé les chevaux.

Le bruit du combat était arrivé jusqu’à doña Hermosa, mais la valeureuse jeune fille, abandonnée ainsi seule au milieu d’une forêt vierge, loin de se laisser dominer par la frayeur bien naturelle qu’elle éprouvait, comprenant l’importance de la garde qui lui était confiée, était demeurée ferme à la même place, un pistolet de chaque main, écoutant anxieusement les bruits du désert, prête à se défendre, et résolue à mourir plutôt que de tomber dans les mains des Indiens.

Son père lui expliqua en quelques mots ce qui s’était passé, puis on partit à fond de train.

La nuit entière s’écoula dans une course dont la rapidité ne se peut décrire.

Au lever du soleil, la forêt était franchie ; le désert nu s’étendait à l’horizon.

Ils coururent encore deux heures sans ralentir l’allure des chevaux ; enfin, on fit halte.