Page:Aimard - Les Francs-tireurs, 1866.djvu/88

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— Père, dit-elle, au bout d’un instant avec ce petit ton résolu que savent si bien prendre les enfants gâtés, je ne saurais vous dire pourquoi j’ai agi ainsi que je l’ai fait, c’est malgré moi, je vous le jure, j’étais folle, la pensée que le Jaguar et le capitaine auraient à soutenir l’un contre l’autre une lutte mortelle, me faisait froid au cœur, et pourtant je vous le certifie, maintenant que je suis de sang-froid, je m’interroge vainement pour connaître la raison qui m’a poussée à intercéder auprès de vous pour éviter cette rencontre.

Le chasseur secoua la tête.

— Tout cela n’est pas clair, Niña, reprit-il, je ne comprends rien à tes raisonnements ; dame ! je ne suis qu’un pauvre coureur des bois sans autre instruction que celle puisée dans les grands spectacles de la nature que constamment j’ai sous les yeux, le cœur des femmes est pour moi un livre fermé dont il me serait impossible de déchiffrer un feuillet, seulement, enfant, crois-moi, prends garde, ne joue pas imprudemment avec des armes dont tu ignores la force et le mécanisme ; quelque léger que soit l’antilope, à force de sauter de rocher en rocher sur les bords des précipices, il arrive un moment où le vertige le prend, la tête lui tourne et il roule dans l’abîme, j’ai vu souvent de semblables catastrophes dans les forêts. Prends garde, fillette, prends garde, crois en l’expérience du vieux chasseur.

Carméla appuya toute pensive son front rougissant sur l’épaule du Canadien et levant vers lui ses grands yeux bleus pleins de larmes.

— Je souffre, père, murmura-t-elle avec tristesse.