Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/398

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légèrement froncés ; il restait le regard fixé sur Felitz Oyandi avec une expression mêlée de mépris, de raillerie et de pitié.

Et tout en regardant, les lèvres plissées par un sourire de démon, ou plutôt un rictus de damné, son complice, toujours évanoui et immobile sur le fauteuil où il l’avait déposé, il philosophait à part lui :

— Quel bizarre amalgame de sentiments divers que le cœur de l’homme ! murmurait-il, en secouant délicatement avec le petit doigt la cendre de son cigare ; quel tohu-bohu indéchiffrable d’intérêts disparates, d’instincts contraires ! quel mélange illogique de force, de faiblesse, de courage, de lâcheté, de stupidité, d’intelligence, de sottise, de vanité et de bassesse ! Qui jamais pourra sonder la profondeur de cet abîme incommensurable, où tout se heurte, se choque, se froisse et se confond, où le raisonnement tient la plus petite place, où les instincts physiques de la matière dominent tyranniquement le moral, où tout se résume par une question de nerfs plus ou moins sensibles et solides, où ce qu’on est convenu d’appeler la conscience, n’est qu’une face de la lâcheté de la brute, et le remords, le regret d’un crime avorté ; et ces deux sentiments réunis et poussés à leur paroxysme font de l’homme le plus faible et le plus incomplet des animaux crées par un caprice inconscient de la nature… Voilà un homme, relativement fort et intelligent, d’une férocité devant laquelle celle du tigre ne serait de que de la douceur, qui ne croit à rien, que les crimes les plus atroces, médités froidement, et plus froidement exécutés laissent calme et impassible. Eh bien ! ce monstre qui a à peine figure humaine, surpris par une jonglerie idiote, plus ou moins bien exécutée, sans avoir la force ou le courage de raisonner, est pris du vertige de la peur ; sans savoir même pourquoi cette peur, qu’il ne saurait analyser ; frappe d’une secousse essentiellement illogique et stupide, il s’évanouit comme un enfant… Sur ma foi ! ce serait à me dégoûter de l’espèce humaine, s’il me restait encore quelques illusions, et si, depuis longtemps