Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par un cordon de sentinelles. Chacun fut alors libre d’entrer, j’en profitai pour pénétrer un des premiers dans la tente. Le colonel était en uniforme, avec tous ses ordres, et gisait étendu sur son cadre de campement ; il s’était tiré deux coups de pistolet en pleine figure, et cela de telle sorte qu’il était complètement méconnaissable : tout était broyé, il n’avait plus pour ainsi dire de visage ; on ne le reconnaissait qu’à son uniforme et à une chevalière à ses armes qu’il portait constamment à l’annulaire de la main gauche. Seulement, je fis alors une remarque qui échappa à tous les assistants : le colonel de Germandia avait eu la première phalange du doigt auriculaire broyée à la suite de je ne mais quelle circonstance, alors qu’il était enfant : l’opération avait été faite, de sorte que cette phalange manquait ; mais comme le colonel portait presque constamment des gants, personne ne s’était aperçu de ce défaut ; moi seul peut-être le connaissait ; le hasard m’avait un jour fait le remarquer. Au premier coup d’œil je reconnus que la blessure du petit doigt n’existait pas à la main gauche du mort ; cela me prouva que je ne m’étais pas trompé, et que l’homme que j’avais croisé la nuit précédente était bien le colonel. Je n’avais nul intérêt à divulguer ce secret ; je ne fis donc aucune observation et je laissai l’agent de police se désespérer de voir lui échapper ainsi le coupable qu’il croyait si bien tenir. Le lendemain le colonel fut enterré ; et huit jours plus tard toute cette affaire était, sinon oubliée, du moins complètement mise de côté. Trois mois plus tard, je passai lieutenant dans un régiment en garnison à Tours. Je partis pour la France et je ne songeai plus à tout cela.

— Mais lorsque le hasard vous remit en présence de votre ancien chef ?

— Il me fit raconter ce qui s’était passé, et il en rit beaucoup ; il n’avait pas à se gêner avec moi : la position dans laquelle il me voyait le mettait à son aise et lui enlevait tout scrupule. Mais, depuis, il n’est jamais revenu avec moi sur cette affaire ; il ne se souciait pas, sans doute, de m’en parler, et, de mon côté, je ne deman-