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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

m’échapper à grand’peine d’entre leurs mains. Ce matin le hasard m’a mis en présence de deux de ces hommes. À leur vue une espèce de folie furieuse s’est emparée de moi ; l’idée de me venger m’est venue ; je les ai couchés en joue, et j’ai tiré, puis je me suis mis à fuir sans savoir où j’allais, ivre, fou de colère et d’épouvante ; arrivé ici je suis tombé accablé, anéanti, autant par les souffrances que j’ai endurées cette nuit qu’à cause de la fatigue causée par une course longue et précipitée à travers des chemins abominables. Ces hommes sont sans doute à ma poursuite ; s’ils me trouvent, et ils me trouveront car se sont des coureurs des bois auxquels le désert est parfaitement connu, ils me tueront sans pitié ; je n’ai espoir qu’en vous ; au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, sauvez-moi ! Sauvez-moi et ma reconnaissance sera sans bornes.

L’inconnu avait écouté ce long et pathétique plaidoyer sans qu’un muscle de son visage bougeât. Lorsque le moine se fut arrêté, à bout probablement d’haleine et de raisonnement, il posa à terre la crosse de son fusil.

— Tout ce que vous dites là peut être vrai, répondit-il sèchement, mais je m’en soucie comme d’une charge de poudre éventée ; sortez-vous d’affaire comme vous l’entendrez, vos prières sont inutiles : si vous saviez qui je suis, vous vous dispenseriez de m’en rabattre plus longtemps les oreilles.

Le moine fixait sur cet homme étrange un regard épouvanté, ne sachant plus que lui dire, ni quel moyen employer pour arriver jusqu’à son cœur.