Page:Aimard - Les rois de l'océan, 2 (Vent-en-panne).djvu/152

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rons de Guadalajara, avec lequel, je crois, il était un peu parent. Heureusement pour moi, le capitaine ignorait qui j’étais ; il me prenait pour un pauvre diable sans importance ; sans cela, malgré toute la pitié que je lui inspirais, il m’aurait pendu haut et court à sa vergue de misaine. Je restai près de deux mois à la Vera-Cruz, avec mon nouveau maître ; je dois lui rendre cette justice, que pour un Espagnol, ce n’était pas un méchant homme. Lorsque les affaires de don Antonio Cibola, tel était son nom, furent terminées, il acheta des mules, des chevaux ; fit charger ses bagages, et un beau matin, il se mit en route pour Guadalajara. Nous ne voyagions qu’à petites journées ; parfois mon maître s’arrêtait un jour, deux ou même trois, dans les villes que nous rencontrions sur notre route. Le voyage dura six semaines. Arrivé à son hacienda, mon maître qui jusque-là m’avait trouvé fort docile, me recommanda à son mayordomo ; celui-ci m’envoya dans les champs avec les autres peones. J’étais complétement dépaysé ; très-loin dans l’intérieur des terres ; mon maître ne devait pas supposer un instant qu’il me vînt à la pensée de m’échapper, sans argent, sans armes, presque sans vêtements ; ne connaissant pas du tout la route, et par conséquent contraint d’accepter le sort qui m’était fait. Il ignorait l’énergie de ma volonté, il ne me connaissait pas, il ne pouvait deviner l’entêtement de mon caractère. Comme vous avez pu vous en apercevoir, je parle très-purement l’espagnol ; la connaissance approfondie que j’ai de cette langue, devait m’être utile. Je mis quinze jours à préparer mon évasion. Je réunis quelques piastres que j’étais parvenu à gagner, des vivres, une petite provision de tabac et des vêtements ; je cachai le tout dans un taillis d’aloès. Le jour ou plutôt la nuit que j’avais choisie, je me mis bravement en route, vers la Côte, me dirigeant selon l’habitude des marins sur les étoiles ; il m’a fallu trois mois pour atteindre la Côte ; je ne marchais que la nuit ; me cachant le jour, évitant la présence des habitants, n’entrant dans aucun village ;