Page:Aimard - Par mer et par terre : le batard.djvu/64

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réconciliés cette fois avec leur ancienne gaieté.

Lorsqu’ils mouillèrent dans la magnifique baie de Cadix, ils se trouvaient donc dans les meilleures conditions possibles pour jouir, sans arrière-pensée, de toutes les charmantes surprises que sans doute leur ménageait cette poétique et véritablement romanesque terre d’Espagne, qui, par un contraste étrange, n’en déplaise à MM. les romanciers et les poëtes qui ont tout fait, sans y réussir, pour la galvaniser, avec son sang africain, ses mœurs demi-arabes et demi-gothiques, où tout semble tenir du rêve, est cependant habitée par le peuple le plus positif, le plus routinier, le plus prosaïque, et par conséquent le moins romanesque et le moins capable d’une généreuse initiative, du monde entier.

Explique qui pourra cette anomalie bizarre, dont sont frappés, après un court séjour en Espagne, les voyageurs qui se donnent la peine d’étudier sérieusement ce curieux pays.

En somme, il faut en convenir, l’Espagne ne vit plus que dans le passé fantaisiste que lui avait créé le moyen-âge ; aujourd’hui, ce n’est plus qu’une ruine vivante, ne se tenant debout que par un miracle d’équilibre, comme la Turquie, à laquelle elle ressemble tant, et qui agonise, elle aussi, à l’autre extrémité de l’Europe !…

Trois causes ont amené le suicide moral de cette intelligente nation — noble entre toutes et capable, jadis, des élans les plus sublimes — et amené l’abâtardissement dans lequel elle est tombée, et dont probablement elle ne se relavera jamais : la proscription des Maures, l’Inquisition et surtout la découverte du Nouveau-Monde, cette