Page:Aimard - Par mer et par terre : le corsaire.djvu/48

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pays ; je ne suis inscrit nulle part, si ce n’est aux Enfants-Trouvés, où j’ai été jeté comme un chien une heure après ma naissance, par des parents inconnus. Qu’est-ce qui constitue la patrie ? c’est le nom et la famille ; on prétend que je suis né à Paris : c’est possible, il faut bien naître quelque part ; j’aurais pu tout aussi bien naître dans tout autre pays ; le hasard seul m’a donc fait Français, si mon acte de naissance n’est pas un mensonge.

— Olivier ! Olivier ! Que dis-tu là, matelot ?

— La vérité, matelot ! répondit-il d’un ton incisif. Renié par mon père et ma mère, venu au monde par un crime, abandonné de tous, je ne dois rien à personne. Pourquoi les lois françaises, qui me refusent tous les droits qu’elles accordent à tous les autres natifs du sol ; qui me repoussent, me rejettent, et font de moi le bâtard, un ilote misérable hors du droit commun, prétendent-elles me contraindre à leur obéir, moi qu’elles ne protègent pas et qu’elles traitent en paria ? Pourquoi donnerais-je mon intelligence, mon sang, ma vie, à un pays qui me conteste jusqu’au droit d’exister ? Cela ne saurait être. Étranger à la France, la France me doit être étrangère ce qu’elle me refuse, je dois le lui refuser. Je suis bien jeune encore, Ivon, et pourtant j’ai souffert déjà toutes les tortures morales qui peuvent briser le cœur d’une créature humaine ; je ne m’en plains pas, je suis fort le malheur peut me frapper, il ne me terrassera pas ; ma vie entière sera une lutte. Soit ! je l’accepte ! je la soutiendrai bravement, sans défaillance comme sans espoir ; le jour où je tomberai dans l’arène, ce sera par l’effet seul de ma volonté, mais sans avoir été vaincu. L’injus-