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PHILOSOPHIE DE KANT

qu’en effet Kant nous apporte les idées de tout le monde. Il nous tient, comme Socrate, inquiets devant lui en nous disant : « C’est toi qui répondras ». Cela inquiète. Nous voulons être instruits ; nous voulons être réfutés ; et Socrate ne réfute que des êtres imaginaires comme Gorgias ou Protagoras ; jamais il ne réfute l’innocent Criton, ni le naïf Phédon. Ainsi fait Kant. Il dissipe l’erreur ; il anéantit l’objection, mais il ne cesse de fortifier son lecteur. La part de la polémique est, en lui, très petite. Kant ne veut point avoir plus d’esprit que qui que ce soit. Aussi ne forme-t-il pas de disciples. Beaucoup ont dit, comme Rauh : « J’accepte tout Kant moins le noumène ». C’est ne rien dire. Et c’est pourquoi j’ai toujours pensé à exposer Kant, sans jamais le réfuter, en partant de cette idée qu’il a toujours raison. Ce qui vous paraîtra bien jeune. De mon côté, je ne puis m’empêcher de vous trouver un peu disputeur ; et il me faut un philosophe comme Kant pour vous détourner de cette méthode de chercher la vérité qui consiste à tuer les uns et les autres jusqu’à ce qu’on trouve