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LE NOUMÈNE

Certes il n’est pas difficile d’apercevoir que le Je Pense donnera lieu à une illusion dialectique, puisque nous ne pourrons jamais penser notre propre mort, puisque nous nous retrouverons le même toujours. En ce sens, nous nous sentons éternels, comme disait Spinoza. Éternels et non pas immortels, voilà le point. Souvenez-vous que Spinoza revient toujours à décrire la fragilité des existants, la puissance des choses extérieures, la courte durée de la vie. Il nous dit et nous répète que nous sommes mortels. La conclusion de tout cela est que l’existence est en elle-même courte et fragile. D’après cette idée, jugez cette immortalité que vous avez peut-être espérée. Exister après la mort, ce ne serait jamais qu’une petite grâce ; tout recommencerait comme ici. Ce n’est pas une grande chose que de perdre l’existence ; et ces méditations ne font que mieux ressortir notre éternité réelle. Telle est donc la conclusion de la critique de la Psychologie rationnelle. Quand on tient l’idée, on juge l’existence, l’existence que le stoïcien abandonnait si aisément. Et puis, Kant est mort, et