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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/108

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XXXII

PASSIONS DE VOISINAGE

« Comme on vit mal, dit l’un, avec ceux que l’on connaît trop. On gémit sur soi-même sans retenue, et l’on grossit par là de petites misères ; eux de même. On se plaint aisément de leurs actes, de leurs paroles, de leurs sentiments ; on laisse éclater les passions ; on se permet des colères pour de faibles motifs ; on est trop sûr de l’attention, de l’affection et du pardon ; on s’est trop bien fait connaître pour se montrer en beau. Cette franchise de tous les instants n’est pas véridique ; elle grossit tout ; de là une aigreur de ton et une vivacité de gestes qui étonnent dans les familles les plus unies. La politesse et les cérémonies sont plus utiles qu’on ne croit. »

« Comme on vit mal, dit l’autre, avec ceux qu’on ne connaît pas du tout. Il y a des mineurs sous la terre qui piochent pour un rentier. Il y a des confectionneuses en chambre qui s’épuisent pour les coquettes acheteuses d’un grand magasin. Il y a des malheureux en ce moment, qui ajustent et collent des jouets par centaines, et à vil prix, pour le plaisir des enfants riches. Ni les enfants riches, ni les