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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/115

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XXXV

LA PAIX DU MÉNAGE

Je reviens à ce terrible Poil de Carotte de Jules Renard. Ce livre est sans indulgence et il est bon de dire là-dessus que le mauvais côté des choses n’est pas difficile à apercevoir ; communément ce sont les passions qui se montrent et c’est l’amitié qui se cache. Et c’est d’autant plus inévitable que l’intimité est plus grande. Un homme qui ne comprend pas cela est nécessairement malheureux.

Dans la famille, et surtout si les cœurs sont tout à fait dévoués, personne ne se gêne, personne ne prend un masque. Ainsi une mère, aux yeux de son enfant, ne pensera jamais à lui prouver qu’elle est une bonne mère ; ou alors c’est que l’enfant est méchant jusqu’à la férocité. Un bon enfant doit donc s’attendre à être traité quelquefois sans façon ; c’est là proprement sa récompense. La politesse est pour les indifférents, et l’humeur, bonne ou mauvaise, est pour ceux que l’on aime bien.

Un des effets de l’amour partagé, c’est que la mauvaise humeur y est échangée naïvement. Le sage y verra des preuves de confiance et d’abandon. Les romanciers ont souvent noté que la première