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Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/203

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LXVI

STOÏCISME

On a peut-être mal pris les fameux stoïciens, comme s’ils nous apprenaient seulement à résister au tyran et à braver les supplices. Pour moi j’aperçois plus d’un usage de leur sagesse virile, simplement contre la pluie et l’orage. Leur réflexion consistait, comme on sait, dans un mouvement pour se séparer du sentiment pénible et le considérer comme un objet en lui disant : « Tu es des choses ; tu n’es pas de moi. » Au contraire ceux qui n’ont point du tout l’art de vivre en rois sur un escabeau laissent entrer l’orage au-dedans d’eux-mêmes, disant volontiers : « Je sens l’orage de loin ; je suis impatient et accablé à la fois. Tonne donc, ciel ! » C’est proprement vivre en animal, avec la pensée en trop. Car, selon l’apparence, l’animal est modifié tout entier par l’orage qui vient, de même que la plante se courbe au grand soleil et se redresse à l’ombre ; mais l’animal n’en sait pas grand-chose, de même que dans le demi-sommeil nous ne savons pas si nous sommes gais ou tristes. Cet état de torpeur est bon aussi pour l’homme et toujours reposant, même dans les plus grandes peines, à condition que le malheu-